25 septembre 2006

Il campiello à la Comédie Francaise

Dimanche après-midi, nous sommes allé profiter des billets de dernière minute de la comédie-francaise, une bonne occasion pour aller voir de l'excellent théâtre pour moins cher qu'une place de cinéma.

La pièce était Il campiello, de Goldoni. J'ai adoré. J'ai ri, j'ai pleuré, j'ai été bouleversé par des visions, des images. Le théâtre ouvre pour moi des portes vers des mondes de rêve extraordinaires et là encore, ça a été le cas.

Pourtant, Il campiello n'invite de prime abord pas à rêver. Il y est question d'une petite place (le campiello du titre) à Venise, autour de laquelle vivent de pauvres gens, essentiellement des femmes, des vieilles et laides, des jeunes et jolies. Viennent aussi les fiancés de ces dames, un gamin qui vit de débrouille et un marchand de rubans macho. C'est carnaval, il fait froid - aucun masque sur scène, les gens sont trop pauvres pour jouer à ça.. Petites intrigues entre voisins. On bavarde, on crie (ils sont italiens, quand même!), on se chamaille, on s'insulte, on se bat, pour les plus meilleures et les plus mauvaises raisons du monde.
Le Chevalier, un homme (apparemment) riche et élégant s'installe à l'auberge voisine et observe tout ce petit monde, se mêle de leurs affaires, tente de plaire à tout le monde et de séduire toutes les dames... Il aime l'allégresse, c'est son mot. Il aime quand les gens sont heureux, quand on joue de la musique et quand on danse.
Voilà, c'est tout. Il n'y a pas vraiment d'intrigue, on va voir vivre tous ces gens, ces gens pauvres, bêtes, plus ou moins honnêtes. On crie, on joue, on se chamaille. On se fiance, on se marie, on se dispute. Il y aura de la musique et des danses, et la neige qui tombe sur le campiello. Et à la fin, le carnaval se finit, le Chevalier quitte Venise pour retourner en son pays. Adieu Venise, adieu.
Pas de rêve dans cette histoire, non. Pas d'histoire, d'ailleurs. Mais tout un monde qui naît, qui vit sous nos yeux, la Venise des petites gens, aimée de Goldoni, le souvenir, le rêve de cette Venise, un ailleurs, un autrefois enchanté qui nous aide à vivre. Des lumières dans l'auberge, le bruit d'un bon repas, un instant de danse, un instant de musique, comme dans des tableaux de Brueghel.
La vie, tragique, absurde, heureuse parfois. Et belle.

Merci aux acteurs, décorateurs, musiciens, techniciens, qui ont permis ces instants miraculeux. Merci à Jacques Lassalle, qui fait de si belles mises en scène. Merci, merci.

20 septembre 2006

Melanie Fazi - Serpentine

Je viens de finir le recueil Serpentine, de Mélanie Fazi, publié aux éditions de l'Oxymore [1].
Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu de recueil de nouvelles fantastiques. J'ai retrouvé le plaisir tout particulier de me plonger dans des textes soignés, qui posent une ambiance, une impression, et la suggestion de quelque chose d'étrange, ou noir, ou effrayant. Des petits dérapages de la réalité...
Ici, nous avons dix textes, tous relativement courts. Voyons ce qu'ils ont de commun, ce qui fait l'unité du recueil.
Tous les textes, déjà, évoquent un fantastique subtil. Pas de gore, pas de mythologies d'être étranges... Le surnarturel est le plus souvent dans les yeux du narrateur ou du personnage principal. Ces tatouages dont on parle sont-ils vraiment "magiques"? Cette mère éplorée ne déraisonne-t-elle pas quand elle dit que l'arbre a avalé ses enfants?


Les personnages de Mélanie Fazi rêvent beaucoup et se racontent des histoires, entre eux ou à eux-mêmes. Ils vivent dans notre monde contemporain, ils sont tatoueur, fan de rock gothique, peintre mal en mal d'inspiration, adolescente en fugue, tenancière de restaurant grec. Vous pourriez les croiser, et c'est ce qui fait leur charme. L'écriture est charnelle, toute en sensations, douleurs, blessures, parfums d'herbes et de vin, écorce, caresse...
Un point intéressant est que quasiment aucun de ces textes ne comporte vraiment "d'action". Il s'agit plutôt de petits tableaux, très fins, très délicats, qui dépeignent les étranges situations dans lesquels sont plongés les personnages [2]. Les texte les plus réussis de Mélanie Fazi sont des portes ouvertes; ils m'ont fait l'effet de la musique, des paroles des chansons que vous aimez. L'auteur vous emmène avec talent dans un autre monde, une autre vie, et offre un support à votre imagination. A vous de voir comme l'affaire se termine... Et c'est tant mieux. Rien de clos, rien de fermé.
L'imagination s'envole à chaque fois, sur rêves du cendre (délire pyromane, je repense à la chanson de Noir Désir), sur nous reprendre à la route, sur le passeur ou sur Matilda (très touchante évocation d'un concert de rock).
Cette capacité d'évocation est la plus grande force de ce recueil.
Les nouvelles de Mélanie Fazi m'ont donné envie de relire les textes de Serena Gentilhomme et croyez-moi, ce n'est pas un mince hommage.

[1] les éditions de l'Oxymore ayant malheureusement mis la clef sous la porte, le livre est désormais épuisé. Je crois savoir toutefois qu'on peut encore le trouver à la librairie Scylla, et que l'auteure disposerait de quelques exemplaires chez elle (http://www.melaniefazi.net).

[2] Les quelques textes comprenant une "histoire" sont d'ailleurs pour moi les moins convainquants (Mémoire des herbes aromatiques, Ghost Town Blues)

05 septembre 2006

Montalbán - Ou César, ou rien

Ou César, ou rien est un roman historique de Manuel Vasquez Montalbán, auteur catalan dont je connaissais de réputation les romans policiers mais dont je n'avais jamais rien lu.
Ou César, ou rien raconte en 400 pages bien denses la saga de la famille Borgia. Au programme : assassinats, simonie, grands personnages de l'église, sang et sexe. Le vice est un bon programme pour attirer le lecteur, mais on peut craindre le pire d'un roman avec une telle accroche.
Ecrire un roman historique littérairement intéressant me paraît être un défi. Pourquoi écrire sur les temps passés? Quel intérêt d'évoquer des temps disparus? A part le goût de l'exotisme, un certain conservatisme et la perspective de vendre une saga en 10 volumes, bien sûr...

Montalbán a tenté de relever ce défi en faisant des choix assez violents: narration très fluide, au présent de l'indicatif. Dialogues enlevés, presque théâtraux. Enchaînement des scènes très rapide (les transitions sont expédiées). Aucune date, peu de repères de lieu. Les personnages parlent comme des gens du 20ème siècle. Tout cela au risque d'une certaine confusion.
Il faut s'accrocher pour suivre, ça depote !
Portrait de César Borgia, dit "le Valentinois" (il a été nommé duc de Valentinois par le roi de France Louis XII)

Et le propos du roman? J'ai l'impression que Montalban a voulu mettre en scène une époque de transition, ou tout paraissait possible. Une époque très fertile, intellectuellement et politiquement. Une époque extrêmement violente aussi. Incertaine. Ou seuls les grands fauves cruels paraissent pouvoir s'en sortir.
Le roman est surtout un portrait de groupe, le portrait d'une famille incroyablement ambitieuse d'origine catalane (comme l'auteur). C'est par ses personnages, dans leurs relations, leurs non-dits, leurs ambitions, que le roman est le plus réussi. Le pape Alexandre VI, Lucrèce, Sancha de Naples, Miquel de Corella, Joan et Jofré, Savonarole, Machiavel et surtout César Borgia sont les acteurs de cette histoire. Le César Borgia de Montalban est un très beau personnage, homme secret, violent, décidé, craint de tous, dont la devise infiniment orgueilleuse donne le titre du roman.
C'est cet homme libre, fascinant, qui mesure tout à l'aune de l'homme, à l'aune de lui-même, qui est le pivot de cette histoire.

Au registre des défauts, le traitement de certains personnages secondaires (Machiavel, Thérèse d'Avila...) : ils ont tendance, dans des dialogues un peu artificiels, à faire un exposé en deux pages de leurs théories, à un niveau un peu cliché.

Mais tout cela ne doit pas masquer les qualités d'un roman, certes inégal, mais attachant par ses personnages "bigger than life".
Aut Cesar, aut nihil !