30 mai 2018

Una giornata particolare – Ettore Scola


8 mai 1938, à Rome. Le jour où Adolf Hitler est reçu en grande pompe par Benito Mussolini. L'immeuble moderne de la viale del XXI Aprile est déserté par tous ses habitants: la population entière est invitée à assister à cet évènement historique.
Volumes vides de l'immeuble. Cages d'escalier vitrées. Cour déserte. Restent, en tout et pour tout, trois humains dans le grand bâtiment. La concierge affreuse, qui installe sa chaise et sa radio dans la cour (et ainsi le son de la retransmission de l'évènement résonne partout dans le bâtiment). Antoinetta, mère de six enfants et épouse de fonctionnaire, qui a habillé toute sa famille de petits fascistes pour les préparer au Grand Moment. Et Gabriele, le locataire du sixième, ancien speaker à la radio, qui se prépare à se tirer une balle dans la tête.
Après, reste un dispositif minimal : deux humains, leurs corps, leurs visages. Deux appartements. Le temps changeant, dehors, et en arrière son les exclamations lyriques de la radio. Cela pourrait être théâtral et c'est du grand cinéma: les visages, les regards, les plans dessinés, tout le temps, l'espace de l'immeuble comme une coquille vide. Les acteurs sont très beaux, tout le temps. La souffrance affleure, on a peur pour eux, pour les vies suspendues, et on retient notre souffle pour que l'instant de grâce que vivent Antonietta et Gabriele se prolonge.
 



Pour mémoire : le strabisme de Mastroianni, les yeux en amande de Sofia Loren. La scène d'ouverture où se révèlent les enfants. La représentations, très juste et cruelle, du travail domestique. L'attention accordée par le film aux petits gestes quotidiens. Les couleurs passées, à la fois douces et tristes. La pluie qui alourdit les drapeaux.

29 mai 2018

Sombre sentier – Dominique Manotti

Paris, début des années 80. Les ouvriers turcs exploités par les ateliers clandestins du Sentier s'organisent et demandent des papiers et des droits. Dans un atelier, une jeune prostituée thaï est retrouvée morte. Le commissaire Théodore Daquin est installé dans le quartier pour tenter de démonter un trafic d'héroïne.
A partir de ces trois points d'entrée, Dominique Manotti monte un roman d'enquête policière minutieux et passionnant. Par sa description des mécanismes sociaux, des relations entre les enquêteurs, des mœurs des policiers. On suit avec intérêt la progression de l'enquête et la lutte sociale des Turcs, la manière dont les relations entre la France, l'Iran et la Turquie influencent une affaire sordide basée dans les arrière-cours et les appartements de ces immeubles autour de la rue d'Aboukir.
Tout comme pour Or noir, le roman est sec et intellectuel. Je trouve toujours que ce qui relève de la vie privée de Daquin sonne plutôt faux; peut-être suis-je aussi gêné par le fait que le "héros" est un type plutôt antipathique. Mais ce sont de petits défauts à côté de la qualité du tableau, riche et animé, qui nous est fait du lieu et de l'époque. 

28 mai 2018

Un pont sur la brume – Kij Johnson

Dans cette novella de Kij Johnson (la même auteure que pour cette intéressante lovecrafterie), on voit un architecte venu de la capitale impériale passer plusieurs années de sa vie au bord d'un mystérieux fleuve de brume pour y diriger la construction d'un pont qui reliera l'est et l'ouest de l'Empire. Malgré le cadre de fantasy du récit, on est dans un décor "réaliste" où l'on va s'intéresser aux gens, aux métiers, à la manière dont la construction de ce nouvel ouvrage d'art va affecter leurs vies. 
Le livre est joliment écrit, le récit amené avec délicatesse, et ça ne m'a pas du tout intéressé, parce que c'était de la fantasy et que tout était inventé. La construction d'un pont imaginaire ne m'implique en rien du tout. J'aime la belle ingénierie, j'aime les histoires de travaux gigantesques, peut-être parce que ça implique de vrais gens, des ressources, des pays, une histoire que je peux apprécier dans toute sa profondeur.
Ici, rien de tel. Malgré tout l'art de l'auteur, le monde resté survolé, et, à vrai dire, ça ne m'intéresse pas tellement qu'elle l'approfondisse. Ce petit livre n'était pas pour moi.


03 mai 2018

Beethoven à l'OCL

J'ai déjà essayé de chroniquer de la musique classique et ce n'est pas facile, parce que je ne suis pas musicien et que parler de la musique avec nos simples mots n'est pas évident. Essayons toutefois car j'ai envie de me souvenir.
Retour à un concert de l'OCL pour écouter le double concerto pour cordes, piano et timbales de Bohuslav Martinu (oui, je sais, on dirait presque un nom inventé de pièce classique chiante) et surtout la symphonie n°9 de Beethoven.
Programmer quelque chose en première partie de la neuvième était assez casse-gueule. Le choix de Martinu se défend bien: cette pièce courte écrite par un Tchèque exilé en Suisse en 1938 est un morceau expressionniste, plein de surprises et d'angoisses, parfois terrifiant, avec une instrumentation surprenante: un double ensemble de cordes, des timbales très présentes et un grand piano utilisé presque seulement comme instrument percussif (ça veut dire qu'on tape dessus pour faire des grands blang pour marquer des temps de la musique).

La neuvième symphonie de Beethoven est une des pièces classiques les plus connues au monde et aussi ma préférée. Je l'ai écoutée enfant au walkman sur une cassette audio avec du souffle dans mon lit avant de dormir (interprétation de Karajan). Ca a été ensuite mon tout premier CD (Harnoncourt, que j'aime beaucoup). Je la connais très bien, cette musique a toujours été là pour moi. Je ne l'avais pas réécoutée depuis plusieurs années.

J'expédie toute de suite les détails du concert: Joshua Weilerstein était très bon, l'OCL précis et en place, comme toujours, le ténor qui lance le O Freunde absolument parfait, le chœur pas tout à fait au niveau mais tenant sa place. Bref, c'était bien.

J'appréhende toujours un peu les concerts de musique classique: on paye cher pour de la musique compliquée qui fait parfois un peu bailler. J'ai tort presque tout le temps. Ici, pour la première fois, je suis entré complètement dans l'oeuvre. J'en ai entendu les surprises et les détails, les merveilles et les tristesses. La neuvième est une réalisation immense, très riche, l'accomplissement d'un artiste au sommet de son art, ce moment où on rassemble tout son savoir, tous les trucs du métier, toute l'inspiration, tout ce qu'on a encore jamais su dire. Elle commence "classique", dans cet équilibre que j'aime chez Beethoven entre la rigueur de la musique d'aristocrates de la fin du XVIIIème et l'expression puissante des sentiments. J'adore les deux premiers mouvements, je pensais ne pas aimer le troisième (qui en fait est très bon, élégiaque) et dans le quatrième le compositeur lâche tout, ose tout, sur la base de l'air le plus simple du monde. L'introduction du thème à la contrebasse dans le silence suspendu de la salle m'a bouleversé. Puis ce sont des crescendos, hymnes de joie, retours au silence, musiques enfantines presque régressive, sautillements, feux de violons, jeux vocaux, jusqu'à la fin.

Une chose que j'ai comprise ce soir: on ne peut pas mettre d'images sur cette musique, je ne peux pas imaginer d'histoire, d'ambiance, de personnages. Ce n'est pas la musique d'une histoire, ce n'est même pas la musique de quelque chose. Elle ne se justifie que par elle-même. Même les mots pour la nommer sont faux. La neuvième, juste un numéro, pour pouvoir en parler.

J'ai lu que Beethoven aimait l'ode à la joie de Schiller depuis son adolescence, qu'il avait déjà tenté plusieurs fois dans sa carrière d'en faire quelque chose avec la musique, jusqu'à ce qu'il arrive à l'intégrer dans ce travail immense auquel l'OCL a bien rendu honneur. La neuvième exprime les mouvements du cœur, depuis l'âge mûr jusqu'à l'enfance, de l'angoisse, la fureur, l'amour, jusqu'à l'espoir et la joie. Elle est une partie de moi.
Et ainsi les artistes se nourrissent de leur propre vie.