Je tente
ici le premier d'une série de posts, qui sont autant une chronique qu'une
réflexion à ciel ouvert autour du jeu de rôle. Les lecteurs de ce blog le savent
déjà, je joue depuis longtemps, et surtout je joue encore.
Après
avoir beaucoup pratiqué avec des univers et des systèmes maison, et cessé de
lire presque tout ce qui était publié par les auteurs et revues spécialisés, je
me suis remis il y a quelques années à acheter du jeu, pour trouver des idées
et disons-le aussi, par plaisir. J’aime lire des textes écrits pour le jeu de
rôle, pour le bonheur de rêver. Il m’arrive même, parfois, de m’en servir pour
faire jouer.
D’où un
plaisir particulier à parcourir le travail des éditions Sans Détour autour de
l’Appel de Cthulhu. J’ai acheté, apprécié et fait jouer la magnifique réédition
des Montagnes Hallucinées. Je me suis
aussi procuré le recueil de scénario de Tristan Lhomme (que je commenterai
peut-être un jour). Et surtout je me suis acheté à parution la campagne des
Masques de Nyarlathotep (pour m’économiser du clavier, je dirai
dorénavant : les Masques).
Dans
cette campagne mythique, parue initialement dans les années 80, les PJs sont
lancés dans un voyage autour du monde, à la recherche des membres disparus
d’une expédition archéologique, l’expédition Carlyle. Il y aura des cultes
maléfiques, des monstres, des complots, des voyages… J’ai acheté la grosse
boîte de Sans Détour en me disant : pourquoi pas ? Pourquoi ne pas
faire jouer, avec mes attentes d’aujourd’hui, cette histoire ?
Les
quelques notes qui suivent essaieront de confronter cette lecture et mon regard
contemporain sur le jeu.
Les Masques est donc une grosse campagne,
rassemblée dans une demi-douzaine de livrets entassés dans une grosse boîte. Le
tout écrit petit, avec des couvertures pulp assez réussies. Cette boîte
s’adresse à des rôlistes nostalgiques : achetez votre campagne à
l’ancienne, telle qu’elle aurait toujours dû être publiée. Texte réécrit,
documentation, mise en page très propre, photos d’époque, de rues, de lieux,
plans lisibles et abondants, chaque PNJ représenté par une photo également. Un travail
éditorial impeccable, fidèle à ce que j’ai déjà vu chez Sans-Détour. On peut se
contenter de l’acheter, de la feuilleter avec un plaisir régressif, voir de la
lire en pensant qu’un jour on la fera jouer, puis la laisser prendre la
poussière dans l’étagère à vieillerie avant d’en parler sur un réseau social
avec des copains. Option 1.
J’envisage
l’Option 2 : et si on faisait jouer tout ce bazar ?
Je n’ai
pas encore tout lu, j’en suis environ à moitié. Voici mes impressions jusque
là… Attention, à partir de maintenant, je spoile à volonté et sans retenue.
J’ai
commencé par le livre d’introduction, qui m’a un peu perdu. Au-delà des blablas
campagne mythique, etc., j’ai fini par comprendre le propos général de
l’histoire. Expédition disparue, journaliste assassiné, portail dimensionnel
(aïe, un truc que je déteste).
J’ai
parcouru ensuite les livrets de New York, de Londres et du Caire.
De
manière générale, j’ai apprécié les photos d’époque, très immersives, les
éléments de background social et historiques, plutôt bien faits, sur le New
York des années 20, Londres, le Caire et l’égyptomanie. Ça m’a donné envie
d’aller promener des PJs dans ces époques et ces lieux, une bonne chose. La
première vocation d’un livre de jeu de rôle, c’est de donner envie de jouer.
New York : clubs de jazz de
Harlem, beaux quartiers où vit Erica Carlyle, poursuites et filatures dans des
arrière-cours. Très bien, tout ça. L’histoire, maintenant ? Je passe sur
l’implication des PJs, qui n’est pas évidente mais que tout maître de jeu roué
saura mettre en place : à New York, nos héros découvrent un homme
assassiné, un de leurs proches, qui s’intéresse à l’expédition Carlyle disparue
depuis des années. Que peuvent-ils faire ? Lire des tonnes de papiers et
d’aides de jeu. Contacter l’éditeur du journaliste. Remonter jusqu’à une secte
implantée dans la communauté kenyane de Harlem. Contacter la sœur de Carlyle,
le millionnaire disparu.
Pas
grand-chose d’autre.
On
atteint ici la première limite de cette réédition : c’est du jeu de rôle à
l’ancienne. Qui fournit des éléments de background, des descriptions de
personnages, des plans (c’est bien). Qui ne fournit pas d’éléments pour animer
une histoire : rencontres, scènes marquantes, implications mettant les PJs
dans des situations tordues et intéressantes. Il n’y a pas grand-chose dans ce
livret pour nourrir mes joueurs, que je n’y amène moi-même… Notamment parce que
je refuse (et eux aussi) certaines conventions à l’ancienne : on enquête
parce qu’il y a un mystère. Les cultes sont maléfiques et doivent être
combattus, etc.
Je me
rends compte que je refuse aussi certains aspects de la campagne (certains me
diront qu’à ce stade, il vaudrait peut-être mieux renoncer à la faire jouer.
Peut-être). Je refuse l’aspect moral : les cultes ne sont pas maléfiques.
Dangereux, oui, étranges, oui, ennemis, oui. Mais les gens qui y participent y
trouvent des avantages, et je refuse l’option facile qui consiste à dire
qu’ils sont juste fous.
J’entends
déjà parler de portail, de fusée, etc. Je sais que je vais virer tous ces
trucs-là. Les zombies aussi, et la plupart de la magie.
Londres : fondations faisant de
la recherche en Egypte, meurtres en série, propriété mystérieuse au bord de la
mer du Nord. Brumes et brouillards. Tout ça me plaît. Je vais devoir relire
pour comprendre comment les PJs se retrouvent à y aller à partir des notes d’Elias,
mais je trouverai. Le côté : je remonte les contacts d’Elias, beaux
quartiers, journalistes, policiers, est assez chouette en donnant à saisir les
éléments d’un puzzle plus grand.
J’aime
assez la manière dont fonctionne le culte local, je le trouve assez crédible :
des pauvres, du pouvoir, du sexe, un mélange de haute société et d’immigrés… On
touche ici des thèmes qui me plaisent : les étrangers, les immigrés, les
conséquences imprévues de la colonisation, l’esprit mélange de modernité et de
fascination pour les forces obscures des années 20.
Le Caire : la présentation du
contexte me plaît vraiment, j’ai des rêves d’Egypte, et cette société où
plusieurs mondes se mélangent… Là encore, le background est très bien et donne
envie. Mais la présentation du scénario… Aïe aïe aïe. Outre le classique « rituel
à interrompre », la rencontre avec le Grand Méchant Maléfique (aïe aïe aïe
bis)… J’adore l’idée de fréquenter un chantier de fouilles ayant sorti « quelque
chose » de bizarre, l’idée de découvertes archéologiques qui feraient
mieux d’être tues. Mais pourquoi diable avoir présenté les points d’entrées des
PJs (le journaliste et le directeur du musée) à la fin du livret ?
Je vois
là que mes attentes face à un livre de jeu de rôle ont changé. J’ai une vie
active, je suis raisonnablement paresseux, je préfère ne pas bricoler autant
que ça. Là, je vais bien être obligé…
J’ai déjà
été long, dans un prochain post je mettrai quelques idées pour faire de cette
campagne quelque chose de plus conforme à mes attentes.