13 mars 2014

Extrait des archives du district - Kenneth Bernard

Que se passe-t-il ? Se passe-t-il seulement quelque chose ? 
Taupe ne se sent pas très bien. Derrière ce pseudonyme, un homme, qu'on devine assez âgé, sans être un vieillard. Il vit seul, il se dit trop préoccupé par ses organes, il dit qu'il sent son territoire se réduire, et vivre seul ne lui réussit pas, il faut qu'il fasse quelque chose pour refaire une nation de lui-même. Pourquoi ne pas prendre des notes, et écrire ?
Nous lisons donc ces notes, tentatives de Taupe pour reprendre pied dans le monde qu'il vit. On s'attache à de petites choses, à l'entrée de l'immeuble où une brute terrorise les locataires, aux caissières du supermarché, aux guichets de la poste, à tous ces petits trajets d'un homme établi dans sa routine. Que se passe-t-il ? Rien, sans doute, juste la vie, la vieillesse, un regard usé accroché aux toutes petites choses...
Oui, mais... A travers le regard au ras du sol du narrateur, à la fois attachant et agaçant, on distingue les bribes d'une organisation sociale. On sent la pression d'une société qui veut contrôler ses membres. Au début, j'imaginais que le récit avait lieu à New York, mais il pourrait aussi se dérouler derrière le rideau de fer, tous les personnages ont des noms aux consonances d'Europe de l'Est. Puis au fur et à mesure des circonvolutions des confidences de Taupe, des mystères et des douleurs apparaissent... Jiri, le fils parti, les saltimbanques disparus, et les clubs d'enterrement, auxquels on est forcé d'appartenir.
Que se passe-t-il ? Que sont les clubs d'enterrements, en réalité ? Le narrateur commence à se poser des questions, le lecteur avec lui, mais comprendra-t-il jamais quelque chose ? Est-ce que ça a de l'importance ? Pourquoi la pièce de théâtre sur les goélands a-t-elle été si critiquée ? Quelqu'un se rendra-t-il compte que Taupe a faussé ses rapports ?
Est-on dans un monde dystopique, orwellien ? Ou bien ce monde est-il le nôtre, vu à travers les yeux d'un vieil homme triste ? Le texte est écrit avec précision et douceur, on en vient à apprécier ce vieux Taupe, on le comprend. Il regarde encore les femmes, un peu, il aime les promenades tranquille, les vieux chiens, les amis. Un fin approche, il décide d'avoir moins peur, d'ouvrir les yeux. C'est peut-être trop tard, mais c'est déjà ça. Ouvrir les yeux sur le monde, se construire, comprendre, laisser une trace...
Que se passe-t-il ?

Longtemps après la lecture, j'ai repensé à ce livre. Au titre de ce livre. A son sens. Et j'ai eu peur pour Taupe.

Publié avec grand soin aux éditions Attila, sous une couverture très appropriée de Marc-Antoine Mathieu.

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