Dans cet essai, l'historien américain Marius Rediker s'intéresse à la société atlantique, du 17ème au 19ème siècles. Une société de marins, d'esclaves soumis ou révoltés, de pirates. Partisan d'une histoire par en bas, Rediker structure son livre à partir d'une demi douzaine de récits, chacun consacré à un aspect particulier du monde atlantique: l'incroyable témoignage écrit (et illustré !) du "pauvre marin" Edward Barlow, le récit de Henry Pittman qui a très fortement inspiré celui de Robinson Crusoé (avec des différences intéressantes : Pittman n'est jamais seul, Crusoé l'est tout de temps – qu'a voulu nous signifier Defoe par ce point ?). Un chapitre passionnant est consacré aux sociétés de pirates, à leurs lois, leurs valeurs et leurs codes, qui m'a fait comprendre un peu ce monde de révolte, de vengeance et de justice. Un autre chapitre est consacré au rôle des marins dans la révolution américaine (à l'influence des idées venues de la mer – et à leur recul), un autre encore parle des révoltes d'esclaves à bord des navires négriers (comment les réussir, comment les éviter, commet les mater) et un dernier à la passionnante affaire de l'Amistad, ce "navire de pirates noirs" et à l'incroyable récupération médiatique à laquelle il a donné lieu des les jours mêmes qui ont suivi sa découverte, en 1839.
Le livre est une collection d'articles, rassemblés et révisés, et n'échappe pas aux défauts de ce genre d'ouvrage (on passe de l'analyse d'un témoignage individuel à une synthèse générale sur les évènements de la révolution américaine, par exemple). Ils sont tous intéressants à leur niveau et donnent envie de se tourner vers les sources.
Rediker veut faire de l'histoire par en bas, donnant la voix aux simples marins, aux exécutants, aux esclaves et aux persécutés et il est tout à fait convaincant dans sa démarche. Une de ses thèses est que notre vision terra-centrée nous empêche de voir la société des marins, dont il fait la matrice à la fois du capitalisme contemporain (libre échange à tout crin basé sur le meilleur de la technologie de l'époque – le grand navire à voiles), du salariat, des luttes sociales, des utopies. Il montre l'importance des récits de marins dans la formation de l'imaginaire de leur temps. Les amateurs de voiliers et de pirates, dont je suis, se régaleront !
Un article de mediapart qui détaille bien mieux que moi le contenu et les idées du livre (je l'envoie volontiers aux non-abonnés) : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/260517/quand-l-histoire-prend-le-large?onglet=full
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire