13 mai 2019

Le Christ s'est arrêté à Eboli – Carlo Levi


Il y a une quinzaine d’années, avec Cecci, nous avons suivi des cours d’italien à l'istituto italiano di cultura, à Paris. Lors d’un de ses cours, Sergio, le professeur, nous a fait lire un bref passage d’un texte littéraire décrivant une maison paysanne et les berceaux accrochés au plafond. Il a tenté de nous communiquer son enthousiasme pour Cristo si è fermato a Eboli, de Carlo Levi, et nous nous sommes dit que ça avait l’air bien, sans comprendre grand-chose à ce qu’il nous expliquait.
Puis nous avons recroisé ce roman au moment où nous jouions des histoires italiennes situées à la période fasciste, et avons eu envie de le lire. On a eu bien raison !

Carlo Levi, donc. Intellectuel bourgeois, aisé, médecin dilettante, artiste, opposant politique au fascisme et confinato : c’est à dire envoyé en exil loin de Turin, à l’autre bout de l’Italie, à Aliano, en Lucanie (Basilicate), dans un coin horriblement isolé et pauvre. 
Levi, qui n’était pas de ce monde-là, a vécu quelques années dans ces pays abandonnés de tous, que les gouvernements successifs, sans doute depuis le temps des Romains, oppriment, exploitent, sans jamais les aider.
La confrontation avec un pays étranger, pauvre et sans paroles ni écrits, est être un classique pour les écrivains, de quoi écrire des paroles fortes et authentiques, avec du vrai pour pas cher. La littérature française contemporaine regorge de ce genre de bouquins, et le livre de Carlo Levi en est un. Mais celui-ci est un chef d’oeuvre.

Le Christ… est à la fois un récit chronologique et une série de récits sur Aliano et sa région. On y parle de la culture horriblement difficile de la terre, des enfants malades du paludisme (visions d'horreur), des Italiens émigrés aux Etats-Unis (et revenus avec la crise économique), des brigands légendaires, des rassemblements fascistes à la spontanéité forcée sur la place du village, des vivants, des morts, de la sorcellerie, des êtres magiques, des animaux (chiens, chèvres, mouches, moustiques…), du sexe, de l’extraordinaire prêche de Noël de Don Traiella dans son église habituellement vide. Tout prend vie, comme un monde fantastique, imaginaire, d’une terrible cruauté, plein de visions d’horreur et de surprenantes merveilles. La Lucanie prend sa place dans le grand flux du temps, le fascisme n’est qu’une oppression de plus, elle finira un jour.
Levi est présent dans le livre sans l’envahir, chaleureux mais distant, médecin qui n’a pas envie de soigner, témoin pensif, très bon romancier.

Ce village fantastique, horrible et dur, m’a fait penser à un prélude aux Saisons. Est-ce que Maurice Pons a lu Carlo Levi ?

Ce roman nous a enchanté, il multiplie les scènes puissantes et enchanteresses, très fortes, très bien écrites. La procession de Noël, la grotte avec ses êtres surnaturels, la présence du chien Barone, les chansons lancinantes des enfants, les cavalcades dans la nuit pour aller soigner des malades pour qui on ne peut plus rien faire… 
Un roman merveilleux.


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