12 novembre 2021

Cocher les cases

David Diop, la porte du voyage sans retour.

Ma bulle de filtre : dans les médias, je n'écoute que les humoristes et les universitaires, ça doit être un effet de la fatigue des temps. L'avantage des universitaires, c'est que, quand ils sont sur leur sujet, ils savent généralement de quoi ils parlent; De plus, ils s'expriment avec précision - ça me repose.
J'ai entendu David Diop parler de son roman dans une émission de Patrick Boucheron. J'ai aimé ce qu'il en disait, Cecci l'a acheté et nous l'avons lu.

La porte... raconte le voyage au Sénégal de Michel Adanson, botaniste, au 18ème siècle, entre collections de plantes et de bestioles, découverte de la langue wolof et des cultures associées,  et observations des pratiques esclavagistes. C'est très bien documenté, très bien fait. Certaines scènes sont vraiment très bien (le récit sous les étoiles, le jeune prince et son cheval, le mariage du roi, le meurtre fantastique via serpent géant...)
Le roman traite avec précaution et délicatesse de tous les sujets qu'il aborde : relations entre Blancs et Noirs, esclavagisme, situation des femmes (en Europe comme en Afrique) et même la situation de la recherche universitaire (au 18ème siècle).

L'idée de base est vraiment forte (la femme vendue comme esclave qui est revenue) mais le romancier n'ose pas aller trop loin. Le récit manque de contradictions internes, de narrateurs pas fiables, d'ambiguités... Par contre, il coche toutes les cases et évoque tous les sujets de notre époque : écologie, racisme structurel, sexisme... L'ensemble est très sage. Pas honteux, mais restant bien dans les clous, et tournant en vérité autour d'un fantasme amoureux et sexuel plutôt commun.

A l'exception du dernier chapitre, qui m'a vraiment surpris. L'auteur, en prenant soudain un point de vue surprenant et pas très cohérent avec le reste (mais on s'en fiche !), se moque de lui-même, de son travail et des prétentions des Européens. Et ça fait du bien.



10 novembre 2021

Balade romantique sur le Rhin (en char Shermann)

L'auteur de ces lignes se serait-ils pris d'une passion pour les panzers ? Va-t-il se mettre à acheter des magazines portant en titre "le Tiger IV mis à nu ?" avec des photos géantes de tanks à croix gammées (#PanzerPorn). J'espère que nous n'en sommes pas là.

Mais voilà, faire jouer au jeu de rôle dans un cadre historique donne envie de s'informer sur la période et le cadre. Après avoir regardé le (très bon) un pont trop loin, que je prendrai peut-être le temps de chroniquer ici, je me suis intéressé à la campagne des Alliés en Europe de l'Ouest. Et il s'avère que Daniel Feldmann, dont j'avais beaucoup aimé les biographies synoptiques de généraux, a également co-écrit et publié en 2016 un livre sur l'exact sujet qui m'intéressait.

La campagne du Rhin traite de plusieurs problèmes intéressants. Que faire quand un camp (l'Allemagne) a perdu la guerre, mais refuse de l'admettre ? Et que pour des raisons complexes, mais explorées par exemple dans ce bouquin, la population et les soldats décident de se battre jusqu'au bout ? Que faire quand, comme les Alliés, on a un véritable avantage numérique et matériel, mais pas infini, et qu'on doit venir à bout de cet adversaire ? D'autant que les Anglo-Canadiens arrivent au bout de leurs réserves d'hommes, que les Américains ne veulent pas en envoyer plus, que les Français ont envoyé au repos leurs meilleures troupes (coloniales, à la peau un peu foncée) pour intégrer des FFIs motivés mais pas formés et éviter la formation d'un front communiste sur les arrières. Comment planifier la victoire sur l'Allemagne ? Comment s'y prendre ?

Outre un détail des forces et des opérations, ce livre passionnant nous parle aussi des relations entre Alliés et généraux (pas très bonnes, mais ayant au final un impact minime sur les opérations), explore les plans tels qu'ils ont été conçus et tels qu'ils ont été accomplis et s'intéresse aux raisons qui ont poussé Eisenhower à arrêter les troupes alliées sur l'Elbe alors qu'elles étaient aussi proches de Berlin que les Soviétiques...

La campagne du Rhin étudie tout cela au niveau stratégique et opérationnel et ne se plonge pas, c'est voulu, dans l'expérience du combattant ou les détails du terrain.

Ce qui ne gâche rien, le livre est bien écrit, vivant, appuyé sur des sources de première main. Les auteurs font preuve d'un remarquable esprit de synthèse et livrent une étude solide sur cette campagne peu connue, à l'exception des wargamers, bien sûr.

Je peux maintenant apprécier le rôle de chaque nation Alliée dans ce combat. De l'inexpérience des troupes américaines, au comportement honteux des Français en Bavière, en passant par les "batailles planifiées" des Anglais, l'erreur (admise par lui, ce n'est pas rien) du général Horrocks lançant la seconde vague blindée trop tôt lors des combats près de Clèves... 

Et le soir je peux lister pour m'endormir les opérations militaires sur ce front. Wacht am Rhein, Nordwind, Veritable, Grenade, Blockbuster, Plunder, Varsity... Bonne nuit les petits !

La campagne du Rhin - les Alliés entrent en Allemagne (janvier-mai 1945).

Daniel Feldmann, Cédric Mas, éditions économica.