25 octobre 2023

Sculptures à Florence

Chefs d'oeuvres, Florence, encore, mais surtout des sculptures.

Je n'y connais pas grand-chose en peinture, et en sculpture encore moins, donc ce que je dis est à prendre avec précaution.

Un Bacchus de jeunesse de Michel-Ange. Apparemment, le commanditaire n'était pas fan et ne l'a pas acheté, Mitch devait être furieux, en même temps il n'était encore qu'un petit jeune qui monte. Donc, pour faire le malin il a représenté Bacchus ivre, et en ça, la statue est vraiment rigolote, on dirait qu'elle vacille.

Maintenant, la partie rigolote : les trois David.

Le premier est celui de Donatello, chef d'oeuvre instantané à l'époque, le premier nu à 360 degrés depuis l'antiquité, un héros biblique avec une vague tête d'Hermès (Bible + antiquité, maximum combo), un jeune homme vaguement ado, vaguement absent, qui en a fini avec la tête de Goliath, puisqu'il tient l'épée à la main.



Version 2 : celui de Verrocchio, le maître de Leonardo (on dit que le mignon jeune homme serait Leonardo, jeune). On a quitté la créature antique, on a la un petit page tout mignon, insolent, épée à la main, on a un peu de mal à croire qu'il s'est fait le géant Goliath.

David 3 : Michel Ange, la trentaine, récupère un gros bloc de marbre un peu pourri (fendu, trop étroit) qui traînait près du Duomo depuis plus de 40 ans avec l'idée qu'on sculpterait un jour un prophète dedans. Et il décide de se confronter à Donatello, à trois générations d'écart : il va falloir faire mieux. Plus grand, déjà (5h de haut contre... beaucoup moins). On va garder l'idée de mêler antique (athlète de marbre) et biblique (sujet), with a twist.

En passant un long moment sur la loggia à regarder la copie du David, j'ai fini par me faire ma propre interprétation du sujet. Le jeune homme au regard décidé, qui passe d'un pied sur l'autre en tourne autour de Goliath se prépare, dans les vingt prochaines secondes, à poser le geste ultime. Le coup de fronde unique, et précis, qui va donner la victoire car ce sera un geste parfait. Et je me dis que ce concept de geste parfait devait bien parler à l'artiste.

Une dernière sculpture que j'ai beaucoup aimé : le Persée, de Cellini, bien plus tardif que ceux qui précèdent. Un super-héros en bronze, flottant sur un pied soulevé par les ailettes d'Hermès, qui se pose sur la loggia en portant la tête de méduse, qui doit bien fonctionner puisque, après tout, tous les gars autour ont été transformés en pierre...


21 octobre 2023

Visite au musée des offices

Ce billet de blog part du présupposé suivant : il est intéressant de voir certaines œuvres d'art "en vrai". Comme si c'étaient des personnes. Et si une reproduction permet de rêver sur des images, le fait de se retrouver face au tableau, à la sculpture, crée quelque chose de différent, de plus fort. Qui fait qu'on se souvient. Qui donne envie de revenir. Qui, peut-être, permet de comprendre quelque chose, à l’œuvre et au monde.

Nous sommes donc allés à la galerie des Offices, à Florence. Lieu de passage obligé et cher pour touristes et bourgeois européens en vacances, dans une ville en train de se muséifier pour accueillir les flux du monde entier. N'empêche, on y voit de belles choses.

Quelques mots pour se souvenir.


La Thébaïde, de Fra Angelico. Dans un paysage de l'ancienne Egypte, des moines-ermites retirés prient et font des miracles. On vient leur rendre visite pour être guéri de toutes les souffrances du monde. Et quand on zoome, on aperçoit plein de gens faisant des trucs bizarres avec des animaux, si, si, regardez. Fra s'est bien amusé.


Une annonciation, de Botticelli. Fresque détachée et transportée. Le format de l'écran ne laisse pas voir que c'est très large et que l'ange flottant dans son tissu et ses ailes est très loin de Marie, dont la posture bizarre semble un écho de ce tourbillon. Botticelli peint des êtres aux visage d'elfes.

 

 
Là aussi, petit écran, mais ce tableau est très grand. C'est sans doute notre plus belle rencontre dans le musée, sans doute était-on encore assez frais pour le recevoir, malgré la foule et les écrans de portables brandis. Il est très grand pour qu'on puisse entrer dedans, et je pense qu'on ne sait pas ce qu'il veut dire. Au centre, un Vénus-madone ? A sa gauche, une femme-elfe-déesse de la nature qu'on dirait venue d'images du royaume des fées, et son visage est celui d'une déesse, qui nous fixe. Encore plus à droite, une autre femme vêtue de voiles, enceinte ?, qu'un esprit aérien caresse, enlève, saisit. Des plantes sortent de sa bouche. A gauche du tableau, trois femmes dansent et leurs mains jointes deux à deux dessinent des postures mystérieuses, et encore tout à gauche, une jeune homme cueille un fruit, on dirait qu'il ne se rend pas compte de ce qui se passe (je ne peux pas le supposer absent à tant de beauté). Une des trois danseuses le regarde, ça la tire hors de la danse. Sur ce tableau, dit le panneau, 138 espèces de plantes différentes sont reconnaissables, ce qui ajoute au mystère. La beauté des corps va avec la beauté du végétal. On est dans la nature mais un mystère d'au-delà du monde flotte dans ce bosquet ombreux.






Encore plus que le précédent, ce tableau est une image hyperconnue. Pourquoi le voir en vrai ? Là aussi, il est grand et il vous absorbe, on y entre. Venus, au centre, attrape tous les regards, l'air de rien, l'air de ne pas y toucher. Elle se masque à peine, juste ce qu'il faut pour que personne ne se mette en colère de la voir ainsi. Ses cheveux d'or ruissellent. Elle ressemble à une idole de maintenant, souriante et vaguement absente à ce qui se passe. Sur la droite du tableau, son assistante, qui la voile, qui la dévoile ?, et sur la gauche un ange, un esprit aérien, c'est peut-être le même que dans le printemps, d'ailleurs il porte une femme accrochée à lui, finalement il ne l'a pas enlevée ?

 
 
 
Passons à tout autre chose.
 
 
Uccello, la bataille de San Romano. Major achievement, unlocked ! J'ai vu les trois panneaux de cette peinture, celui de Paris, celui de Londres et celui de Florence ! Cette image a des effets quasi-abstraits, on dirait une affiche des années 30, un film d'Eisentstein aux teintes de moyen-âge. Il y a longtemps, j'ai acheté Tigana, de G.G. Kay, aux éditions de l'Atalante, et les lances et les chevaux d'Uccello formaient les couverture que j'ai trouvée géniale. Depuis, j'aime cette image de bataille d'heroic fantasy.



Michel Ange, peintre : compose, dessine, frappe, comme Michel Ange, sculpteur. La brute créatrice de l'époque. Je ne sais pas si je l'aime, mais il m'impressionne.
 



 
 
 
Comme disait le duc d'Urbino, qui l'a acheté : "ce tableau, là, avec une femme nue". Tiziano saute le pas : ce n'est pas un sujet mythologique (genre, Vénus, une nymphe, whatever), c'est juste une belle fille sur un lit. Derrière, les servantes sont allées chercher les fringues, mais c'est trop tard, le tableau est fini.
 
 

 
Artemisia reprend le style du Caravage, et un thème traité par l'autre Michelangelo : Judith décapitant Holopherne. Mais pas d'héroïsme, là. Juste l'épée, au centre, et la colère, et la chair qui résiste, le sang qui gicle, l'effort qu'on met à buter ce bâtard, qu'il crève ! Qu'il crève ! La lame tranche, la tête vient, la main est poissée de sang et s'accroche dans les cheveux.

On termine avec quelque chose de plus joli, mais étrange quand même, l'hermaphrodite couché. Pour une raison que j'ignore, on ne pouvait voir que le côté face (première image), impossible d'entrer dans la pièce pour en faire le tour. De quoi avaient-ils peur ? Des militants queer venus caresser la chair de marbre ? Des fanatiques religieux qui voudraient massacrer cette aberration. Je vous laisse croiser son regard, de l'autre côté.

 





 


06 octobre 2023

Le jardin des délices - à Vidy

Le jardin des délices, c'est le titre qu'on donne à un étonnant tableau de Jérôme Bosch, issu de la fin de moyen-âge, sorte d'uchronie sensuelle d'un monde où le péché originel n'aurait pas eu lieu. A gauche le paradis, à droite l'enfer et au centre un monde de joies sexuelles, de fraises, de cerises et de relations inter-espèces.




C'est aussi le nom du spectacle de cet automne, à Vidy, une création de Philippe Quesne, inspirée du tableau.

Deux très bonnes idées du théâtre : présenter le tableau, projeté en très grand, dans une salle. Et organiser des conférences autour du tableau (je suis allé écouter Patrick Boucheron, très intéressant).

Quant au spectacle... Il a pas mal d'idées plastique, les images qu'on en fait ont de la gueule et la musique et très bien. Il ressemble à une (très) longue performance, du genre qu'on voit au palais de Tokyo. Nous nous sommes beaucoup, beaucoup ennuyés.







04 octobre 2023

Lavinia - à la grange de Dorigny

 La Grange de Dorigny programme souvent des spectacles expérimentaux, plutôt de petit format. On y était allé voir une "tempête" d'après Shakespeare avec Prospero en père absent dans un fauteuil, ou bien une présentation de l'oeuvre scientifique d'Anita Conti sous forme d'une interview demi-imaginaire.

Lavinia est une adaptation scénique du texte d'Ursula Le Guin qui fait vivre, dans son propre récit, la femme d'Enée, Lavinia. Le texte, tel qu'il est présenté, est l'évocation d'un fantôme : une femme d'un passé lointain et le personnage inaccompli (parce que femme ?) d'un récit fondateur de la culture européenne.

Sur scène, Lavinia est représentée par trois actrices et par un dispositif technique complexe de captation de mouvements, qui fait vivre un personnage projeté sur un grand écran. Les photos vous donneront une idée de ce à quoi ça ressemble.











Le spectacle est né de la rencontre entre ce récit et ces technologies, et les deux marchent très bien ensemble. Les techs sont bien mises en scène, les actrices très présentes et au milieu de tout cela le fantôme de Lavinia prend vie devant nous, avec ses cheveux enflammés et ses prières de guerre en latin.
Nous nous sommes laissés fasciner par cette belle création visuelle et sonore.



02 octobre 2023

Fantasio - au TKM

Fantasio est une pièce de Musset qu’il n’aura jamais vue sur scène, la création d’un jeune homme de 22 ans, qui rêvait de théâtre et voulait secouer cette forme d’art. L’histoire se passe dans une Bavière de fantaisie. Fantasio est un jeune bourgeois criblé de dettes, désabusé par les temps, aspirant à l’absolu, bref : un romantique.  Sur un coup de tête, il s’engage comme bouffon du palais.










Au palais, le roi marie sa fille au prince de Mantoue pour éviter la guerre. Et la jeune princesse est triste, because le mariage, bien sûr, et parce que Saint-Jean est mort. Saint-Jean, c'était le bouffon précédent, elle l'aimait, et son poste (vacant) qui a permis à Fantasio de s'engager.
L’ensemble donne un conte de fées un peu dark et grinçant, plein de passages méta, de répliques marrantes et de situations un peu absurdes, mais où le cœur souffre quand même. Ça donne aussi un excellent spectacle, qui émerveille et rend heureux.

La mise en scène de Laurent Natrella avec huit jeunes comédiens est formidable. Le début m’a fait un peu penser au Roméo+Juliette de Baz Luhrmann : silhouettes stylées, maquillées, aux genres fluides, avec une sorte de Mercutio androgyne super stylé.e en narrateurice (qui ponctue le récit de chansons et de passages musicaux). 

Il y a tout ce que j’aime dans le théâtre : un monde imaginaire fort, de la suggestion, des images dingues (le roi, perché sur son trône trop grand… Fantasio assis au bord de la scène et comptant le temps qui passe…), du jeu très (très) physique, des émotions puissantes… les acteurs sont tous incroyables. Fantasio, bien sûr, à la fois brûlant, moqueur et fragile, et la princesse enfantine et volontaire, et le prince de Mantoue, sorte de Freddie Mercury surexcité… je ne les cite pas tous mais tous portent la pièce, haut et loin.
Je suis encore habité par les images créées sur scène : Fantasio couchant la princesse dans son lit, la prisons, les déguisements du prince et de Marinoni, son aide de camp… C’était magnifique. Et ça joue encore jusqu’au 15 octobre, foncez si vous êtes dans le coin !

(photos de scène (c) Lauren Pasche pour le TKM)


24 septembre 2023

Histoires sans gloire... -- à la Tournelle

 
Histoires sans gloire et pratiquement sans péril pour 4 voix sur pente raide, par le collectif moitié-moitié.
 
Nous avons vu hier soir à la Tournelle, près de chez nous, un spectacle très curieux, difficile à résumer et très recommandable. Quatre chanteurs, deux hommes et deux femmes, soprano, alto, ténor, basse, font un récital de "chants de montagne", ce type de chanson à la poésie un peu fanée exaltant la beauté des sommets, les pâtres, leurs troupeaux, les chalets, ou la douceur de la rivière du Doubs. Du type, "là haut, sur la montaaaagne, l'était un vieux chalet". Tout ça, très suisse, très alpestre. Chant choral, montagne, etc. 

Sauf que. Mais.

Le récital déraille un peu, puis un peu plus. Dans le comique, dans le bizarre, dans l'inquiétant. Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, juste des choses qui se passent sur scène, des effets, des sentiments, des accumulations de voix, des scènes dialoguées... Les chanteurs deviennent comédiens, des situations absurdes apparaissent, on rit parfois, on est perplexe, on rit plus, on est de plus en plus perplexe... La mise en scène (et en lumières !) est habile, on est saisi, et à la fin, curieusement, on entend vraiment la montagne, là, dans notre petite salle de théâtre. La montagne, ses silences et ses peurs. On part des chansons, on arrive à Derborence.

Ce spectacle étonnant m'a vraiment intéressé et troublé, bien plus que des trucs bien plus prétentieux vus de biens plus grands théâtre. Je le recommande chaudement.





27 juillet 2023

Pirate Enlightment -- David Graeber


Une petite lecture de pirates (oui, ça continue), attrapée dans une librairie en Ecosse.

Cet essai de David Graeber parle de la "vraie" Libertalia, d'après le nom de l'Etat pirate du capitaine Misson, qui aurait existé à Madagascar.

La thèse de Graeber est la suivante : il aurait existé, dans le nord de Madagascar, au début du 18ème siècle, une sorte de confédération malgache anarchiste, la confédération Betsimisaraka, différente des groupements politiques du lieu et de l'époque, fondée par des locaux, hommes et femmes, et des descendants de pirates caraïbes établis dans le coin. Ainsi serait né un premier état égalitaire du 18ème siècle.

Les témoignages sur l'époque sont rares, l'archéologie ne dit pas grand-chose. Graeber se base sur son travail de terrain à Madagascar durant sa jeunesse et sur un étonnant manuscrit français datant du milieu du 18ème siècle décrivant l'histoire de la grande île. Bien sûr, rien ne prouve positivement la thèse de Graeber, mais rien ne l'infirme non plus et de nombreux éléments de récits et de preuves sont intéressant.

Le livre est surtout très stimulant dans sa démarche, incluant certes les Européens, mais aussi les locaux, les nombreuses couches de migrations sur la grande île (musulmans, juifs, différents groupes parlant swahili), développant le rôle et la place des femmes (et leur magie sexuelle/amoureuse). Ce monde malgache n'a pas attendu que les Européens le rencontrent pour exister, il n'était pas immobile quand les français ou les Anglais l'ont rencontré, c'est évident, mais ça fait du bien de se s'en rendre compte.
Graeber pense large, nous décentre et fait rêver.

Et oui, une forme de Libertalia a pu exister, faisant parler jusque dans les cours d'Europe.