10 octobre 2025

Un simple accident - Jafar Panahi

Donc voilà, c'est un film iranien fauché, tourné avec comme décor principal une camionnette (ça se voit). Récompensé par la palme d'or et financé par des capitaux français. Et ça va nous dire que le "régime des mollahs", comme dit la presse, ce sont des méchants. Je vous renvoie à la super vidéo de cinéma & politique sur un certain business du cinéma "exotique" (je veux dire: pas européen ni américain).




Bon, voilà, on dit tout ça, et, en fait, ce film est super bien. J'ai pensé en le voyant que c'était tout le contraire des productions AI/CGI. Plein d'aspérités, de surprise à l'image et de vrais gens à l'écran. C'est réaliste mais c'est une fiction, une histoire qui rappelle un peu la pièce "la jeune fille et la mort", en plus fin et moins sérieux.

C'est un film à la fois flippant (on a dit, le régime, ce ne sont pas des gentils), humain, marrant, absurde, très très bien joué (j'ai adoré tous les acteurs et, en particulier, le type à la tête complètement quelconque qui joue le personnage principal). L'histoire m'a tenu en haleine jusqu'à la dernière seconde. 

Alors oui, c'est une charge, c'est frontal, le discours n'est pas très fin, mais l'ennemi, en vrai, non plus. Et si, au moins, on peut en rigoler, ce n'est pas plus mal.






Lavinia - Ursula Le Guin

J'ai donc fini de lire Lavinia. Dans ce roman, ULG raconte la vie du personnage éponyme, l’épouse d’énée à la fin de l’énéide de Virgile. Ce dernier ne parle pas beaucoup de la fille du roi Latinus. Par amour du latin, du poème d'énée, et sans doute plein d'autres raisons, Le Guin a décidé de lui donner un récit à elle.

On avait déjà lu, Cecci et moi, le livre Sirène, debout, de Nina Mac Laughlin, une réécriture brillante des métamorphoses d’Ovide, du point de vue (pas très drôle) des femmes. Mais là où Sirène debout était une série de nouvelles féministes très violentes (et pas moins appréciables), Lavinia est une œuvre plus douce (même s’il y est beaucoup question de guerre), une évocation très poétique de la vie dans la Latium durant l’antiquité, la relation aux animaux, aux plantes, aux dieux. Le Guin essaie de faire sentir ce qui était, peut-être, l’univers mental des anciens Romains, ceux d’avant l’empire. Un monde vertueux, sobre et digne. À cette belle ambition, le roman mêle aussi une romance (c’est l’histoire d’une jeune fille à marier et de jeunes chiens fous qui se battent pour elle), une histoire de guerre vue du point de vue féminin, et surtout une évocation, très méta-littéraire, de la relation de l’autrice avec son personnage et de l’autrice, et du personnage, avec Virgile lui-même, et son poème.

J’ai beaucoup aimé beaucoup les personnages, l’univers, l’histoire, tout, c'était vraiment formidable. J’avais lu quand j’étais enfant une version de l’énéide et cette affaire de nobles Troyens débarquant chez des ploucs en Italie centrale m’avait toujours parue assez peu héroïque. Lavinia me fait regarder les choses tout autrement et me donne, en plus, envie de lire l’énéide, si je trouve une traduction qui me plaît (nous en avons une à la maison, peut-être un peu trop proche du latin, à laquelle en tous cas je n’ai pas accroché). 

Je termine ce billet en citant l'autrice elle-même, à la fin de sa très intéressante postface.

Depuis que j'en ai lu histoires et légendes, je suis attirée par Rome. Pas l'Empire décadent des sagas télévisées mais la Rome primitive : la République sombre et simple, un forum non de marbre mais de bois et de brique, un peuple austère doué d'un sens aigu du devoir, de l'ordre et de la justice; des fermiers qui passaient la moitié de l'an dans les rangs de l'armée, des femmes qui tenaient les fermes en leur absence, des familles étendues qui révéraient le feu de leur âtre, les récoltes dans leur grenier, la source voisine, les esprits du lieu et de la terre. Les femmes n'étaient pas du bétail, et ne serait-ce que pour cette raison mon imagination se sent chez elle dans une maison de la Rome antique, chose impossible avec la Grèce antique. Ils avaient des esclaves, comme tout le monde à l'époque, mais les esclaves de la maisonnée, la familia, mangeaient avec les hommes et les femmes libres. Ils étaient frustes, brutaux, très différents de nous, mais il est difficile de les voir comme véritablement étrangers quand une si grande part de notre héritage culturel vient directement d'eux, la moitié de notre langue, l'essentiel de nos concepts juridiques... et peut-être aussi certaines valeurs sévères mais raffinées : la loyauté, la réserve et le sens des responsabilités qui habitent le héros de Virgile.


De manière intéressante, nous avions acheté ce livre après avoir vu la pièce qu'il a inspirée à la grande de Dorigny, il y a deux ans.

04 octobre 2025

Augustin à la mine - au TKM

C'est le début de la saison au TKM, centrée autour d'un festival d'art brut, en collaboration avec le musée du même métal installé à Lausanne. (voir cet article où j'évoque cet endroit remarquable)




La pièce commence dans le noir ; des sortes de lanternes de mine laissent deviner un sol couvert de débris minéraux. Une nouvelle lumière s'allume, au fond, éclairant de côté un visage pâle, qui nous parle. Elle est Marie Lesage. Une enfant. Elle est morte. Elle est sous la terre (dans la mine ? Dans la tombe ? Le texte est ambigu). Elle nous parle du lien entre le dessous et le dessus. Elle nous parle de son frère, le peintre, Augustin. La pièce va nous parler d'Augustin.

Augustin Lesage est né dans le Nord. Il descend à la mine, comme son père, comme son grand-père. Un jour, une voix lui parle, celle de Marie, sa soeur, dans une scène bouleversante où il semble à la fois ramper sous terre et être dans les bras de la morte. Marie lui dit qu'il sera peintre. Il se met à peindre alors qu'il n'a jamais appris. Il va parler aux esprits, évoquer les morts, guérir les vivants par ses pouvoirs psychiques, et peindre des tableaux mystérieux, géométriques, pleins de motifs liés à l'Egypte antique. Il va devenir l'objet d'études bizarres, financées par l'Institut Métapsychique International, dans les années 20.

La pièce, dans un grand souffle, nous fait vivre cette histoire. Sept acteurices sur scène, toustes sont Augustin, toustes sont tous les personnages. Les voix passent, les personnages changent de scène en scène, iels bougent comme un corps, comme plusieurs corps. Foule, groupe d'habitudés au café, mineures dans la cage, visiteurices de la première exposition d'Augustin. Les genres, les voix n'ont pas d'importance, les corps des comédiens.nes évoquent les fantômes, les morts, les voix disparues.

L'histoire d'Augustin est à la fois très mystérieuse, très curieuse, très humaine. La pièce offre une mise en scène pleine de mouvements, de danse, même, qui montrent le temps qui passe, les guerres qui viennent, l'âge et la maladie qui saisissent. Le texte porte des extraits de lettres ou de paroles de ce drôle de type que fut Augustin Lesage.

On est dans l'histoire des mines, l'histoire du Nord, l'histoire du spiritisme. On voit vivre un monde de la belle époque et des années 20 plein de surnaturel et de magie. Dans l'ombre des tunnels, entre sur terre et sous terre, en passant d'un monde à l'autre...

Et le plus beau : pendant une heure trente nous faisons la connaissance d'un peintre sans jamais voir un de ses tableaux. Si la curiosité vous prend, cherchez des images sur le réseau. Et si vous le pouvez, allez découvrir la pièce !

Photos Guillaume Perret

29 septembre 2025

Il était une fois dans l'Ouest - Sergio Leone






Oui, bien sûr, je l'avais déjà vu, il y a longtemps, mais c'est une douceur particulière que de dire à Marguerite : "tu avais aimé le bon, la brute et le truand, non  ? Assez de temps a passé, ce soir on va regarder un autre film du même type."

Et après les dix-quinze minutes de la scène d'ouverture, le type avec la goutte qui s'écrase sur son chapeau, la mouche sur la face du truand, le grincement de l'éolienne, le cliquètement du télégraphe et le grondement grondement grondement du train avant que l'homme tenant un sac de voyage apparaisse sur le quai et joue de l'harmonica, elle m'a dit "toutes les scènes seront aussi lentes que celle-là". J'ai dit "ben non", et en fait, si.

En vérité, on a aimé, elle et moi. Les longs caches poussières qui claquent dans le vent. La musique qui traine ses ritournelles. Les grands yeux de Claudia Cardinale. Le visages burinés en très très gros plan. Les personnages brutaux et mélancoliques.

Quelques remarques qui nous sont venues en en parlant :

- la dynamique des personnages est assez similaire à celle du "bon...". Il y un gentil pas très gentil (Bronson = Clint), un méchant très méchant (Henry Fonda = Lee Van Cleef) et un type douteux finalement assez sympathique (Cheyenne = Eli Wallach)


- la première moitié du film, quand on ne connaît pas les tenants et les aboutissants de l'histoire, est très flippante. Notamment le moment de l'harmonica dans la nuit devant la maison des McBain.

- Jill est un beau personnage, c'est très chouette de découvrir le récit et la situation à travers son point de vue et sa position, très instable, très fragile. Quel dommage qu'elle ait si peu d'agentivité... Je n'ai pas beaucoup de sympathie pour Leone et Bertolucci là-dessus.

- Les visages d'hommes apparaissent souvent en très gros plan, on en voit toutes les imperfections. Le visage de Claudia Cardinale est toujours impeccablement maquillé et jamais vu de trop près.

- Morton est aussi un bon personnage. Quelle incroyable idée, le type qui se suspend par les mains dans son train !

- Au cinéma, un tiroir ouvert contient toujours un revolver. Ou, au moins, une arme.

- L'homme à l'harmonica est quand même un gros connard alors qu'il pourrait l'être un peu moins. Pourquoi essaie-t-il de violer Jill ? Quel est le sens de cette scène ?

- j'aime le fait que le duel final se passe dans une arrière-cour. Qu'en fait, plus personne n'en a rien à foutre, de l'harmonica, de Frank, de ce qu'ils font. Tout ça passe.

- Mais le pendu... La cloche... Ca donne des frissons.

Bref, super film anyhow.









23 septembre 2025

Le passager du Polarlys - Georges Simenon

Ce Simenon là n'est pas un Maigret, mais c'est un must pour amateurs de l'AdC. Un cargo qui part de Hambourg vers la Norvège. Des passagers mystérieux, dont un qu'on ne voit jamais. Un meutre. Un capitaine qui a du boulot mais qui doit aussi s'occuper de ce bazar. Une ambiance incroyable (alcool, glace, vieux moteurs, mouvements dans les ombres). C'est très très effiface et super bien.

D'autres Maigret - George Simenon

Dans ce petit post de blog, j'essaie de lister les Maigret que j'ai lus, afin d'éviter d'acheter plusieurs fois les mêmes.

Piotr le Letton : celui-là c'est le Maigret originel. Histoire de bandits internationaux et de grands hôtels dans les années 20/30. Je l'ai adapté sans souci en scénario "roman noir" pour notre PJ détectrive à New York. L'intrigue repose sur un truc officiellement interdit aux auteurs de roman policier, mais qui marche vraiment bien ici. Je l'ai beaucoup aimé !

Maigret et l'homme du banc : un petit employé dans la cinquantaine est retrouvé assassiné dans une ruelle, portant des chaussures jaunes qu'il n'uarait jamais mises... Je suis arrivé à la moitié de ce lui-ci avant de me rendre compte que je l'avais déjà lu. Mais en fait, il est bien, en portait déprimé d'un milieu de petite classe moyenne. Les femmes de ce récit sont toutes horribles. (Ce n'est pas toujours le cas chez Jojo Simenon)

Maigret et monsieur Charles : celui-ci est le tout dernier, écrit dans la maison forteresse suisse de Jojo. Portait psychologique d'un mariage bourgeois qui part en sucette. Je me rappelle qu'il m'a plu.

Maigret et les braves gens : je ne m'en rappelle plus trop, mais je l'avais bien aimé. Encore une histoire de bourgeois.

Maigret et le coroner : Maigret assiste à une enquête aux USA. Le roman est assez bancal, loin de la brasserie Dauphine et des demis posés sur la table en attendant le suspect, mais je me rappelle d'une histoire maligne, avec un assassinat le long d'une voie de chemin de fer.

Le chien jaune : un roman des années 30, thriller des brumes à Concarneau. Vraiment cool.

La nuit du carrefour : lu, mais oublié. M'a laissé une impression très moyenne. (années 30)

La guinguette à deux sous : celui-ci se passe en bord de scènes. J'avais trouvé les ambiances vraiment super (années 30)

Maigret et le ministre : une affaire de magouilles policières et de rapport volé. Je l'avais trouvé bien.

Maigret et le corps sans tête : des bistrots, le canal saint martin et un corps sans tête. Je me rappelle l'avoir beaucoup aimé.

Maigret se trompe - Georges Simenon

Dans ce Maigret, une ex-fille des rues est retrouvée assassinée dans l'appartement très bourgeois qu'elle occupait avenue Carnot. On sait qu'elle voyait souvent Pierrot, son ancien bon ami. Mais alors pourquoi la concierge est-elle incapable de dire à quoi ressemblait l'homme qui payait le loyer de ce logtement luxueux ?

Celui-ci est un bon Maigret. L'intrigue est bien arrangée et elle met en scène un intéressant personnage de chirurgien célèbre et ayant du mal à se retenir avec les femmes (=violeur en série) qui sonne assez juste quand on voit certains professionnels de santé qui terminent dans la chronique judiciaire. Bien sûr, là, on est dans les années 50, tout le monde trouve ça très bien. Sauf Maigret, peut-être...

Spoilers: je me demande combien Simenon parle de lui à travers ce chirurgien. 

Spoilers 2: pourquoi est-ce que Maigret "se trompe" ? Peut-être parce qu'en vérité il ne parvient pas à amener au procès le principal gros gros connard qui manipule tout le monde avec son air de ne pas y toucher.