12 janvier 2012

L'ogre – Jacques Chessex

Le lecteur l'apprendra peut-être, l'auteur de ces lignes vit en Suisse, "pays beau comme un gâteau d'anniversaire, avec son chocolat, ses montagnes à la crème, ses trains électriques et son armée de milice" (Plonk & Replonk, de mémoire). J'ai ainsi apprécié de découvrir avec Chessex un auteur parlant avec talent de cette contrée.
L'Ogre, prix Goncourt dans les années 70, raconte l'errance dans sa propre vie de Jean Calmet, prof de latin à Lausanne, fils de son père, l'ogre du titre. Le père Calmet est une présence écrasante, dévorante, castratrice, débordante de puissance et de vitalité. Un médecin, maître des chairs et des corps, craint et respecté de tous. Le père meurt, le fils devrait se sentir libéré mais la présence énorme ne cesse de l'habiter, de le dévorer de l'intérieur, de saper toute énergie et toute volonté.

Ce livre a plusieurs qualités. Une vraie écriture, épaisse et lourde, en écho au pays et au récit. Une capacité très particulière à évoquer ces régions de l'ouest de la Suisse, Lausanne, la Broye, le bord du lac, les maisons, les terres, leurs habitants. Chessex aime et châtie à la fois, montrant la sève particulière de ces régions et sociétés et leur pouvoir d'enfermement destructeur. Autres qualités, un vrai talent pour décrire le goût, l'énergie de la vie, contrebalancé par une ironie sauvage, donnant des moments à hurler de rire (le choix de l'urne, la scène d'amour avec "la fille au chat", les tentatives du directeur du gymnase pour reprendre la main sur les étudiants rebelles, le voyage à Berne...). Le héros est un personnage qu'on a à la fois envie de plaindre et de gifler, et cette distance est très bien posée par l'auteur.
Si j'ai été séduit par de nombreux passages, le livre lui-même m'a laissé dubitatif. Avec le titre qu'il portait, je ne cessais d'espérer un glissement fantastique dans la lignée du Roi des Aulnes. Mais pas de réalisme magique chez Chessex (malgré un cadre qui s'y prêterait), juste un récit lourdement réaliste, au propos transparent, drôle, cruel, mais pas vraiment intéressant. Dommage. Du même auteur, j'avais bien préféré Un juif pour l'exemple, où le style terrien appuyait vraiment le récit historique et où la puissance du fait divers suffisait seule à porter le récit, sans psychologisme de bazar.




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