La parution de ce petit livre a fait parler d'elle dans le petit milieu des auteurs/éditeurs/libraires/amateurs de littérature de genre : un auteur talentueux, rare et méconnu. Une traductrice connue et respectée dans le milieu, donnant son temps et son travail par passion, une micro-édition de grande qualité : couverture magnifique (et pas racoleuse) de Stéphane Perger, livre bien fabriqué, bien présenté, bien assemblé. Ce livre, loin des histoires commerciales, égoïstes ou médiatiques, est le produit d'un amour collectif pour le texte, pour les histoires, pour les livres.
Rien qu'à ce titre, il est déjà recommandable.
Je connaissais assez bien le travail de nouvelliste fantastique de la traductrice, Mélanie Fazi, mais rien du travail de Lisa Tuttle, que Mélanie présente comme une de ses grandes inspiratrices. Les six nouvelles présentes dans Ainsi naissent les fantômes ont été écrites ces vingt dernières années mais présentent une vraie homogénéité de thème et de traitement : il s'agit d'histoires fantastiques à l'ancienne (sans que cette qualification ait pour moi quoi que ce soit de négatif), de confrontation à des cauchemars, des angoisses, des peurs enfouies. Enfermement, perte du langage, grossesses étranges, désirs sexuels inappropriés... Les textes sont tous bons, écrits avec finesse, justes dans leur progression et les sentiments qu'ils décrivent. Je citerai particulièrement l'Heure en plus, fantasme naturel de tout jeune parent écrivain, Ma pathologie pour sa mise en scène très incarnée de l'alchimie et surtout la Fiancée du dragon, qui, malgré quelques artifices, a créé en moi un véritable malaise et un véritable décalage, dû au travail symbolique et érotique profond que le texte exerce. Les réactions des personnages y sont parfaitement à côté de la plaque et donc totalement crédibles.
La limite de ces textes, pour moi, est qu'ils se situent tous dans une littérature de genre codifiée : un élément fantastique, onirique, dérangeant, est introduit dans une vie "normale" et petite bourgeoise (maison, famille, travail, livres) d'Occidental(e) de la fin du 20ème siècle. Les récits nous effraient, nous dérangent, mais ce référent normalisé offre un confort mental, une sorte de refuge (sa propre vie) auquel le lecteur peut retourner. Ainsi, les récits restent des évasions, avec tout ce que connote ce terme, sans jamais réellement être dangereux (sauf peut-être la fiancée qui est le moins réussi dans sa forme - par rapport aux autres, mais le plus puissant pour moi.).
Que ces réserves ne vous empêchent pas d'apprécier un très bon recueil de genre, réalisé avec amour par des personnes toutes talentueuses.