En 1889, dix-sept ans après Phileas Fogg, une jeune journaliste de 25 ans propose à son rédacteur en chef de faire le tour du monde en moins de temps que le héros de Verne. La direction du journal commence par refuser: une femme, seule, se lancer dans une telle aventure ! Puis l'opération publicitaire et commerciale leur paraît bonne. Et voici la jeune Nellie Bly, munie d'une seule robe (faite exprès) et d'un sac de voyage lancée pour un tour du monde en moins de 75 jours, payé par le New York World, le journal de Joseph Pulitzer.
Qui était Nellie Bly ? Une journaliste audacieuse, surtout connue jusque là pour ses reportages sur les conditions de vie des femmes et des ouvriers, et pour ses dix jours d'infiltrations dans un asile psychiatrique. De nos jours on dirait: une journaliste d'infiltration et une féministe résolue. Elle accomplit son voyage pour le plaisir, pour l'aventure, pour pouvoir écrire plein de papiers excitants et pour la cause des femmes, toujours présente à son esprit.
Le livre en lui-même n'est pas très intéressant: traversant les pays et les océans à toute allure, Nellie Bly ne voit que des cabines de bateaux et des wagons de chemin de fer. Le voyage se passe globalement bien, aucune attaque de pirate, aucune explosion de chaudière, tout juste quelques tempêtes et retards dus à des questions d'horaire. A sa façon, le récit est aussi ennuyeux que les péripéties de celui de Verne, préfigurant notre époque de voyages accélérés et de contemplations pittoresques. Ca se lit tout même très bien, car c'est court et que mademoiselle Bly a un style joyeux et enjoué (le genre l'impose). Elle pose sur ce qui l'entoure un regard frais, un peu impertinent et très patriotique: elle est Américaine et fière de l'être.
Parmi les anecdotes savoureuses du voyage, on retiendra bien sûr sa visite éclair, au début de son voyage, à Jules Verne himself, séduit par cette jeune personne entreprenante.
Le livre devient plus intéressant dans ses creux et ses non-dits : les sous-entendus liés à la situation d'une femme seule et indépendante (qui, en voyage, en rencontre un paquet d'autres); le regard entre compassion et bon vieux racisme posé sur les non européens ("il y a autant de tempéraments chez les coolies que chez les chevaux"), le fait pour lecteur de Verne de retrouver les mêmes lieux que ceux par où est passé Phileas Fogg, décrits par quelqu'un qui les a vraiment vus.
Le livre est au final plus intéressant par ce qu'il nous dit de l'époque qui la produit que par ce qu'il raconte effectivement. Et on ne peut s'empêcher de trouver sympathique la jeune journaliste qui l'a produit.