06 octobre 2018

Vernon Subutex – Virginie Despentes

Vernon est un ancien disquaire, un métier aussi étrange aux yeux contemporains que, disons, porteur d’eau ? Un jour, Vernon, au chômage depuis un paquet d'années, perd son RSA, puis son appartement, puis tout. Il se retrouve à la rue, relié au monde par son compte Facebook, et part squatter chez ses anciens copains. A travers la dérive de Vernon et le point de vue de son ancienne bande de potes, tous plus ou moins issu du milieu du rock dans les années 80, on va parcourir tout un pan de la société française en croisant notamment Emilie, ancienne bassiste devenue cadre moyenne trop seule, Xavier, scénariste raté, Patrice, postier et mari violent, Laurent, SdF, Laurent, l’autre, producteur de cinéma malade, Sylvie, grande bourgeoise divorcée, Olga, SdF aussi, Loïc, petit faf, et encore et encore.
Puis avec l'histoire des mystérieuses cassettes laissées derrière lui par Alex Bleach, ancienne star du rock dont la mort inaugure le roman, et forme en réalité la cause des ennuis de Vernon, va se mettre en place une drôle d’intrigue qui nous occupera le long des trois tomes de ce projet ambitieux.

De manière intéressante, chacun des tomes du roman a sa personnalité spécifique, ce qui me fait dire qu’ils ont été écrit avec une relative indépendance les uns des autres. 
 
Le premier est, littérairement parlant, le plus remarquable. Description d’une entrée en galère, portraits puissants et percutants des personnages. Virginie Despentes fait partie de ces écrivains qui aiment les gens sur qui ils écrivent: on s’attache à tous ces losers, ces bizarres, ces gens plus ou moins désagréables, plutôt plus que moins. Elle a un sens de la formule puissant, sait adopter des points de vue décalés. On a là un portrait de la France contemporaine en coupe, comme une version détaillée de la belle chanson de Bigflo et Oli, avec ses paradoxes, ses mauvaises tentations, ces maladies mentales et sociales modernes qui nous font rire pour que nous n’ayons pas à en pleurer. 
 

Le deuxième tome voit l’intrigue se développer réellement. Les ondes bizarres de Bleach, le talent de DJ d’un Vernon transformé, le rêve utopiste. C’est narrativement plus laborieux, même si Virginie Despentes est douée pour produire des punchlines. Le petit théâtre des personnages du T1 ronronne. J’ai l’impression que Despentes est plus douée pour poser ses personnages que pour les faire interagir. 
Le thème abordé et développé, assez SF en réalité, m’a fait penser à un autre auteur français d’origine populaire, amateur de rock et d’utopies en foutoir : Roland Wagner. Les roman de Despentes m’a paru alors devenir une sorte de préquelle sous forme de roman noir de l’univers des derniers jours de mai, dans lequel Vernon aurait eu toute sa place.

Le troisième volume est le moins réussi et le plus touchant. L’intrigue de Descentes est percutée de plein fouet par les attentats de Charlie et du Bataclan, qui bouleversent ses personnages tout comme ils semblent avoir bouleversé leur auteure dont je ne suis pas sûr qu’elle avait penser les inclure. Le désarroi traverse le livre, qui renoue avec les explosions de violence et de cruauté des premiers romans de VD. Tout part dans tous les sens, l’intrigue file et rebondit, entre traits justes (la dispute entre les amis et le départ de Vernon), discours prononcés aux nuits debout, cris de protestations, jusqu’à un finale en explosion encore plus branque que le reste.

J’ai bien aimé l’ensemble. C’est parfois très impressionnant (quel sens du portrait !), ce sera daté très vite, le portrait d’un temps, d’un instant. C’est parfois mal fichu au possible, la matière romanesque penche de traviole, l’auteure ne la tient pas très bien en place et semble nous dire: « puis merde, je m’en fous » et inviter le lecteur à aller boire un coup avec les personnages (métaphoriquement). C’est un livre, une trilogie, honnête et sincère, pleine d'observations sociales bien écrites, de souvenirs des années 80, de rêves et d'envie de musique. Plutôt pas mal.





1 commentaire:

  1. content que tu l'aies lu !

    Bon, j'ai trouvé ça génial. Suffisamment pour lire le tome 2 et le et ne pas trop en vouloir à l'auteure du délitement palpable de ce dernier volume.

    Pour moi, Vernon Subutex, c'est tout simplement une Comédie Humaine des années 2010. Une photo de cette société française urbaine. Avec en plus la sensation que ce n'est pas exactement le projet d'origine, que ce n'est pas forcément construit avec cet objectif. Si bien que le texte n'est pas "impressionnant" mais accessible, vivant, aussi bien dans ce qu'il raconte que dans la façon dont il se construit visiblement sans être guidé par un plan pré-pensé sur plusieurs volumes, même sur davantage qu'un volume.

    Et puis ces personnages sont *très* réussis. On y trouve tous des images rémanentes. Tiens, les miennes : la clochardisation progressive de Vernon, qui n'a absolument aucune envie de se chercher une "nouvelle vie" ; ce qui change dans la vie du clodo qui gagne au loto (les baskets) ; le trader coké en transe musicale dans une soirée à domicile ; la bassiste de Téléphone - c'est elle - qui se rend compte que personne ne l'appelle plus, tout bêtement ; le scénariste qui insiste pour que sa femme lise son dernier manuscrit de suite quand bien même elle est claquée ; le même descendant la poubelle. Et d'autres encore.

    Et puis il y a dans Vernon Subutex toujours une sorte de rage de l'auteur mais qui ne s'exprime plus avec la violence directe et imparable de King Kong Theorie. On voit son énergie chaque page (enfin, moins quand même dans le tome 3) mais sans ce côté "je vous en mets plein la tronche". C'est curieusement d'une efficacité plus prononcée, ça agit plus profondément.

    Bref, je lirai les suivants...

    RépondreSupprimer