28 février 2017

Flic maison – Dashiell Hammett

Après le grand sommeil, nous restons dans les classiques du roman noir. Les nouvelles de Hammett sont plus anciennes que le roman de Chandler (années 20 plutôt que fin des années 30), Hammett encore plus que Chandler est le créateur de la hard boiled school.
Cette sélection de sept nouvelles présentées dans un petit livre bien fait nous fera voyager entre histoires d'adultère, de chantage et de meurtres. Pas vraiment de détective récurrent, même si le narrateur est souvent un homme de l'agence Pinkerton (que Hammett connaissait bien pour y avoir travaillé quelques années). Les intrigues policières sont denses, bien tournées et remarquables pour des textes aussi courts (format nouvelles pour pulps).
Hammett est un narrateur remarquable qui excelle dans ces formes resserrées. Un des récits (celui qui se passe en Asie du sud-est) m'a même fait penser à Kipling qui est, rappelons-le, le meilleur raconter d'histoires au monde ! Bref, ce petit livre m'a fait apporté ce plaisir particulier qu'offrent les histoires courtes bien racontées, et la promesse d'en lire d'autres en découvrant plus avant l'oeuvre de Hammett. De la bonne came.
 

25 février 2017

Silence – Martin Scorsese

Le cadre de cette histoire est intéressant. En 1640, deux Jésuites sont envoyés au Japon pour retrouver leur mentor, dont on raconte qu’il a apostasié suite aux persécutions. On a donc deux jeunes hommes, armés de leur foi et de leur ordination, jetés sur les côtes d’un pays inconnu dont ils ne comprennent pas la langue, à la recherche de chrétiens « cachés », qui se retrouvent confrontés à la culture japonaise, et notamment aux ordonnances d’état visant à interdire le christianisme. 
 
Rodrigues et Kichijiro. Scène de la confession, première.
 
Cet aspect de rencontre avec l’inconnu est joliment rendu dans le film. Les paysages japonais sont très beaux, ceux d’une autre planète, et le film saisit très bien la fraicheur et la surprise du regard du héros au moment où celui-ci pose les yeux pour la première fois sur un décor urbain. Certains personnages sont aussi très bien, notamment « l’inquisiteur » Inoue, l’interprète un peu sadique, et surtout Kichijiro, dont l’ambiguïté, les retournements et l’adhésion presque comique au christianisme donnent sa seule touche d’humour à un film sinon plutôt pesant. 
 

Sinon, on a des scènes de martyre (pas trop complaisantes, c’est supportable), du blabla, du martyr, du blabla… Comme c’est beau, bien filmé et joué par de bons acteurs, l’affaire passe plutôt bien, je ne me suis pas ennuyé, mais je ne veux pas non plus qu’on croie que c’est une affaire très funky.
Ce qui est plus ennuyeux: historiquement, l’affaire me paraît bancale. L’histoire de l’implantation du christianisme au Japon est un épisode très intéressant. Les jésuites sont arrivés vers 1540, il y a eu une très forte implantation locale de l’église avec, notamment, de nombreuses communautés animées par des Japonais, avant un retournement complet des autorités au début du 17ème siècle qui ont banni le christianisme car elles y voyaient, outre un danger pour la cohésion sociale, un pied dans la porte des Espagnols et autres Européens et donc un danger pour le pays – elles n’avaient sans doute pas tort. 
 
Je ne sais pas comment s'appelle cet acteur, mais il est vraiment cool.
 
Les deux héros du film sont cohérents dans le récit du film, mais leur ignorance complète de la situation politique et de la culture japonaises ne sont pas très crédibles: il y avait des japanisants parmi les jésuites et de bons connaisseurs du pays (j’ai chez moi le poilant petit traité de Luís Fróis écrit à l’époque qui recense les différences culturelles entre le Japon et l’Europe). 
Le film projette sur ce contexte une religiosité très contemporaine et un peu bêbête et un discours lourd sur le silence de Dieu, et manque le coche de présenter en miroir deux étrangetés profondes:  le monde japonais et le christianisme. 
 
source : wikipedia. Un netsuke représentant le Christ.
 

23 février 2017

Mes médias d'actualité #2

Suite d'un article général sur ma consommation de médias d'actualité.

Médias en ligne - autres

Le monde.fr

Avec sa grosse rédaction et ses journalistes très pros, Le Monde reste une source sérieuse, mais je n'ai pas pu me convaincre de sortir 18 euros/mois pour aller au-delà de la version web gratuite. Je sais que je ne le lirai pas de manière assez régulière et approfondie et que le trop gros centrage du journal sur le monde franco-français, la personnalisation de la politique, les matchs de catch entre "personnalités du PS" et les articles sur le bac me tiennent un peu à distance. Je le consulte chaque matin pour voir si un évènement important ne m'a pas échappé, rien de plus.

Le temps.ch

J'ai été très amateur, il y a quelques années, du Temps, quotidien basé à Genève. Leur positionnement libéral, dans tous les sens du termes, était tout à fait assumé,  mais les dessins de Chapatte, le sérieux des analyses, la distance par rapport à la politique française et européenne, la couverture culturelle et scientifique, tout ça en faisait un journal intéressant à suivre. La situation s'est malheureusement dégradée: érosion du lectorat oblige, le quotidien romand de référence a fait un basculement marketing et pris un virage à droite prononcé. Ce qui est triste, c'est que je lis maintenant pour ses analyses (assez biaisées qui plus est) de la politique suisse.

Le monde diplomatique

J'ai de la sympathie pour le diplo, et j'adore leur tic de donner du "Monsieur" ou du "Madame" à tous les personnages politiques ("M. Trump", "M. Fillon", plutôt que "Trump"  ou "Fillon") mais au fond j'en trouve la lecture assommante. Je n'y arrive pas, désolé. Par contre, leur site héberge quelques blogs excellents, comme Régime d'opinion, le blog d'Alain Garrigou.

Blogs d'information

Je lis un paquet de blogs via mon agrégateur RSS. Les lister tous serait fastidieux. Leur intérêt principal est de pouvoir suivre un sujet précis traité par des gens qui savent de quoi ils parlent. Même en écartant les blogs culturels, ceux de lecteurs de SF, etc, il en reste un paquet, alors voici une sélection de ma blogroll.
Passeur de sciences : actualités scientifiques grand public, très chouette.
Sciences2 : actualités scientifiques, avec une attention plus soutenue sur les politiques scientifiques, le climat et le nucléaire.
Oil man : le pétrole, sa vie, son œuvre. Le blog de Matthieu Auzanneau a le mérite de mettre les questions énergétiques au centre.
Coulisses de Bruxelles : Jean Quatremer est souvent énervant, mais personne d'autre que lui ne m'aide à comprendre la politique telle qu'elle se joue dans les institutions communautaires.
Epris de justice : très beau blog sur la justice telle qu'on la rend. Je ne cite pas dans ma liste maître Eolas, parce que tout le monde le connaît et qu'il ne publie plus beaucoup.
La voie de l'épée : blog tenu par un officier militaire de réserve traitant tout autant de stratégie, d'histoire militaire et d'analyses sur ce que la France fait, ou pas, avec son armée.
Une heure de peine : chouette blog de sociologue.
(et il y en a plein d'autres)

Journaux papier

La conséquence de s'informer sur Internet est que je ne lis (presque) plus de journaux et magazines papier façon XXème siècle.

L'Histoire

Le seul magazine auquel je suis encore abonné. L'Histoire est un magazine genre sérieux qui vulgarise les résultats récents de la recherche historique. Les articles sont longs, solides, généralement bien illustrés. Je me suis toujours dit que je le lisais avec une forte perspective de rôliste et que, sous cet angle, c'est de l'évasion pure.

Le canard enchaîné

J'ai toujours été plus canard que Charlie, mais après des années de lecture chaque semaine j'ai fini par ne plus acheter le palmipède que de loin en loin. L'observation du marigot des magouilles et des vanités a cessé de me faire rire pour ne plus provoquer qu'un malaise écœurant.

Chaînes youtube

La couverture de l'actualité nécessitant certains moyens, ce n'est pas tellement compatible avec le format des chaînes youtube moyenne (=un trentenaire dans son salon).
J'ai toutefois du plaisir et de l'intérêt à écouter chaque semaine le Fil d'actu, malgré ses gimmicks. La tentative de recentrer l'actualité sur les sujets importants, hors du buzz, est tout à fait salutaire, même si, format et formation oblige, les analyses ne sont pas très profondes.

Radios

Autant je déteste la télévision, autant j'adore la radio. Et le podcast est une des plus belles inventions d'Internet. Je ne suis pas les journaux d'actu à la radio, mais j'écoute une poignée d'émissions qui me permettent de suivre l'actualité de leurs domaines. En vrac:
Le masque et la plume, pour l'actualité littéraire mainstream, copinage & co compris, pour entendre parler de ce qui se fait en théâtre et pour avoir de l'actu cinéma et parce qu'entendre des critiques débattre et se disputer me paraît être un des bonheurs d'être français.
Mauvais genres, parce qu'Angelier est un expert, une voix, et qu'on peut y entendre parler de trucs vraiment bizarres.
Concordance des temps, parce que j'aime l'Histoire et qu'on y entend des messieurs âgés qui se font des assauts de politesse. (quoi que, il y a peut être des femmes, invitées de temps en temps ?)
Une vie, une oeuvre, une heure de biographie d'une femme ou d'un homme célèbre. Certains des épisodes sont passionnants.
Ah, tiens, ces émissions ne viennent que de chez radio France. Pure curiosité, il se passe des choses intéressantes sur les radio privées ?


20 février 2017

Mes médias d'actualité #1

Le but général de ce blog a été depuis le début de partager mes sentiments sur diverses productions culturelles (livres, pièces de théâtre, films, puis jeu de rôle). En ce temps à l'actualité chargée, c'est rien de le dire, j'ai pensé qu'il pourrait être intéressant de faire un parcours de mes sources d'information.
Que ceux qui n'ont pas envie d'entendre parler de journalistes et d'actualité passent leur chemin !
Le sujet promettant d'être assez long à traiter, je le diviserai donc en deux billets. 
Si vous avez des sources que vous aimez réellement et que je ne connais pas, n'hésitez pas à partager et à le faire savoir.

1 - Médias en ligne

Je commence par ma source d'information principale, les médias en ligne de type "pure players". Pas de version papier, pas de pub. Ce ne sont que des médias payants, mais ça fait un moment que j'ai compris que pour avoir un minimum de qualité et de l'information qui ne soit pas, d'une façon ou d'une autre, aux mains d'un milliardaire français, il faut sortir du pognon.
Je partage volontiers, et en tous temps, de manière ponctuelle, les articles des sites auxquels je suis abonné, n'hésitez pas à m'envoyer un mail/message FB/etc. 

Arrêt sur images

Arrêt sur images : la première fois que j'ai payé pour de l'information sur Internet. Coming out : pendant la brève période où j'ai possédé une télévision (de 1997 à 2001), j'aimais bien suivre l'émission de Daniel Schneidermann sur la cinquième. J'appréciais son droit de suite envers ses invités ("mais vous n'avez pas répondu à la question...").
En fait, le site internet qu'il a fondé suite à son éviction est bien meilleur que l'émission originale. Je le suis depuis le début, il y aura bientôt dix ans, j'en apprécie la ligne éditoriale (comment se fabriquent les histoire qu'on nous raconte sur le monde, même si je ne suis pas certain qu'ils la définiraient comme ça), l'indépendance, l'honnêteté, le mélange de longues émissions vidéos et de textes, d'enquêtes parfois fouillées. Je ne lis pas tout, je regarde une émission sur deux, je n'aime pas tout (je n'ai jamais été convaincu par les séquences d'humoristes qui ouvrent certaines émissions), mais il s'agit d'une équipe de journalistes qui se posent sans cesse des questions sur leur activité, ce que je trouve très salutaire. Depuis dix ans, ce sont un peu mes copains, quand je pense à eux je les appelle par leurs prénoms.
Média payant, sans pub.
Formats : émissions longues (1h30), téléchargeables, articles écrits, le tout sur un flux RSS.
Une émission récente, que j'ai vraiment aimée : l'émission avec Gaspard Glanz et Marilyn Baumard sur la fermeture de Calais, l'arrestation de Glanz, etc, qui décompose très bien la relation du pouvoir actuel avec la "crise migratoire".
Autres papiers intéressants : les papiers d'Alain Korkos où il parle de tableaux, les articles d'Anne-Sophie Jacques sur les questions économiques.
Et un incroyable reportage sur le journalisme indépendant en Russie.
Des lecteurs intéressés par des articles, émissions, abonnements découverte, peuvent toujours se tourner vers moi pour que je leur en envoie.

Hors-série

Hors-Série est un spin off d'arrêt sur images, fondé notamment par Judith Bernard. Ils (elles, plutôt, vu que les intervieweuses sont le plus souvent des femmes) font des entretiens filmés sur fond noir avec des artistes, des chercheurs, Frédéric Lordon, des philosophes, des maîtres de conf en histoire de la musique sous le troisième Reich, Frédéric Lordon et de temps en temps, Frédéric Lordon. C'est très à gauche, un peu amateur dans les préparations d'émissions, mais les invités sont souvent intéressants et j'entends des gens avec qui je ne suis parfois vraiment pas d'accord. C'est un peu comme France culture, je les écoute dans mes oreillettes quand je fais des tâches ménagères.
Média payant, sans pub (pas cher, je crois).
Formats : uniquement des émissions longues, hebdomadaires (plus d'une heure), téléchargeables, flux RSS.
Une ou deux émissions récentes intéressantes ?

Mediapart

Je me demande régulièrement si je dois y rester abonné. Mediapart offre un parcours solide de l'actualité, surtout française et internationale – je ne les suis pas sur le culturel. Disons qu'ils jouent en ligne un peu le rôle du Monde, ancrés nettement plus à gauche tout de même.
Les émissions vidéo m'endorment et m'intéressent peu, il y a chez eux un esprit de gauche-sérieux qui m'assomme un peu. Maintenant, il s'agit d'un des rares acteurs médiatiques français à avoir pu jouer son rôle de garde-fou démocratique et rien que pour ça, et pour leur indépendance totale, ils méritent le respect.
Formats : articles courts, longs, éditos, émissions variées, billets d'humour (baille, baille).
Un article récent qui m'a intéressé ?
Comment les démocraties occidentales peuvent préparer 2050
 

Les jours

Les jours est mon coup de cœur récent dans le paysage médiatique en ligne. C'est du journalisme narratif, feuilletoné, qui n'envisage pas une couverture globale de l'actualité ni un suivi des pulsations du monde (du slow journalism, en quelque sorte), mais qui aborde aussi bien des sujets habituels (les primaires de la droite, vues sous un angle intéressant) et que des trucs plus rares, comme la vie d'une classe de seconde pro dans un lycée de Seine-et-Marne ou que l'industrie des cosmétiques.
Le design du site est excellent, l'écriture de grande qualité, le regroupement des articles en obsessions suivies peut donner des envies de binge-reading. On aura compris, j'aime beaucoup.
Formats : articles longs (rien de plus)
Des articles récents et intéressants ? Plein !
La série Les revenants de David Thomson sur les jihadistes de retour en France.
Autour du pot, enquête sur les cosmétiques 
La bascule, série d'articles sur la Turquie. 
Pour les amis rôlistes, pour tous ceux qui aiment approfondir les sujets, les Jours est pour vous.

19 février 2017

Arrêt du coeur – Dorothy Sayers

Nous avions apprécié, sans être enthousiasmé, la deuxième enquête de Lord Peter. Le troisième roman de la série, Arrêt du cœur, est, quant à lui, tout à fait remarquable. Il commence toutefois très doucement, par une conversation dans un restaurant avec un jeune médecin qui a des doutes sur le décès d’une de ses patientes, atteinte du cancer, mais morte soudainement quelques mois avant la date attendue. Et Lord Peter de s’intéresser à cette non-affaire, à tenter de voir le crime là où il n’est sans doute pas, et de théoriser sur tous ces meurtres parfaits, parfaits parce que réussis et jamais remarqués par la police. Cet assassinat parfait est le défi littéraire de ce roman, dont l’intrigue, d’abord simple, autour d’une vieille femme dans une petite ville de province, ne cesse de se complexifier, de gagner en suspense et en mystère. 
En plus de l’intrigue, le roman est remarquable par sa peinture de mœurs : notaires, vieux ecclésiastiques, femmes célibataires qui gâchent leur intelligence, domestiques plus ou moins rusés… Miss Alexandra Climpson, assistante de Lord Peter pour cette aventure, lui donne beaucoup de sa saveur. Les bonnes scènes sont nombreuses, depuis la tentative malheureuse et dangereuse de séduction de Lord Peter, en passant par la visite du notaire à la patiente mourante dans la maison vide, où la scène de la découverte du cadavre sur la plage, la meilleure étant celle où, à partir d’un papier allusif contenant les notes préparées pour une confession, Ms Climpson parvient à… (chut).
Enfin, j’ai été touché par la peinture très discrète et émouvante des deux couples de femmes qui structurent l’intrigue. 
Le charme que je trouve aux aventures de Lord Peter tient, je crois, au passage dans un cadre réaliste, souvent cruel, d’un prince charmant de conte de fées, léger, joyeux et drôle. Ça donne envie d’en lire d’autres.

17 février 2017

Ma vie de courgette – Claude Barras

Du Ken Loach pour enfants. Voilà à quoi m'a fait penser ce film d'animation.

"Courgette" est le surnom d'un garçon qui perd sa maman dans des circonstances tragico-absurdes et qui se retrouve envoyé dans un foyer, où il sera bizuté avant de se faire des amis de ses compagnons d'infortune. Malgré les marionnettes et les couleurs acidulées, ma vie de Courgette joue dans un registre réaliste, que ce soit dans les dialogues crus, les interactions parfois cruelles des enfants entre eux, les réactions des adultes (ni des monstres, ni des anges, des gens désespérément faillibles), les situations sociales difficiles de chacun des héros. Le film est souvent drôle, parfois grinçant, parfois tendre. Je ne sais pas trop quoi en penser. Il fallait être culotté pour écrire et proposer ça pour des enfants. Les miennes ont détesté, peut-être ce monde est-il trop loin d'elles, il est sûr elles n'aimaient pas ces personnages aux grands yeux tristes. J'ai trouvé pour ma part le film un peu bancal, hésitant entre la description d'un milieu et d'un petit monde, le foyer (très réussi) et la nécessité de raconter une histoire, au risque de perdre les jeunes spectateurs.
Et à la fin, Sophie Hunger chante Le vent l'emportera, ce qui résume bien toute l'ambivalence de mes sentiments envers le film.


Quoi que je pense de l'histoire, l'animation à base de marionnettes est formidable et le film est plastiquement très intéressant. Rien que pour cela, et pour ses choix culottés, il mérite une véritable attention.


16 février 2017

Un secret à la fenêtre – Norma Huidobro

Ce quatrième roman policier que nous lisons de cette excellente auteure argentine est aussi bien que les autres. On y trouve un timbre de valeur, un chanteur de tango, une pizzeria, un jeune héros éduqué par sa grande sœur et bien sûr, un meurtre mystérieux. L’histoire est énergique, réaliste, pleine de questions, de flan au caramel et d’échappatoires vers le rêve, ici avec l’histoire de la dame d'Elche.
J’ai du mal à comprendre ce qui fait que j’aime autant les histoires de Norma Huidobro. Elles reposent toutes sur un équilibre subtil, un mélange entre réalisme social (le contexte est toujours très précis), intrigues policières bien ficelées, une réelle attention portée aux personnages (notamment aux enfants qui en sont les protagonistes), un style concis, à la fois simple et évocateur et une once de mélancolie. Il faut un réel talent pour tenir ensemble tous ces ingrédients, Norma Huidobro y arrive dans chacun des romans policiers que nous avons lu avec les enfants. Je leur dois cette heureuse découverte. 
 
 
 
 
 


15 février 2017

La nuit des chasseurs


Texas, 1890. Des bandits planqués en haut d’une colline, guettant la diligence convoyant de l’or, croient-ils. Ils dévalent la pente au galop, menacent le conducteur… pour découvrir que la diligence ne transporte pas le chargement à destination de la banque, mais un groupe d’U.S. marshalls bien armés. La fusillade est terrible, les corps tombent, le combat absurdement sanglant ne laisse qu’une poignée de bandits survivants. Et une étrange idée les traverse… Si nous nous emparions de l’identité des hommes de loi, pour nous rendre à la ville de Desolation, là où la population les attend ? Là où se trouve peut-être, encore, le trésor de la bande Jefferson-Dawson ?
Votre aventure commence ici, vous êtes ces bandits déguisés en marshalls, venus résoudre un mystère vieux de déjà cinq ans...

La nuit des chasseurs est un jeu de rôle complet sous forme d’un petit livret, comprenant la mise en bouche évoquée ci-dessus, la description de la ville de Desolation, ses habitants et ses mystères, et une poignée d’intrigues majeures. De quoi jouer un gros scénario ou une petite campagne (notre choix). Les appendices contiennent des considérations bien vues sur le thème, l’époque et un système de jeu que nous n'avons pas utilisé. Le tout est d’un grand plaisir de lecture, dense et serré, et donne immédiatement envie de jouer: mes lecteurs habituels sauront que c’est là mon critère pour juger les bons bouquins de jeu de rôle.

Donc, nous avons joué la nuit des chasseurs, et ça marche, et c’est très bien. Vous avez envie de passer quelques heures dans une ambiance de western crépusculaire ? Ce petit livret vous donne tout ce qu’il vous faut pour vous faire votre Deadwood à vous : PNJs, coups tordus, histoire de faux semblants, de mensonges et de rédemption.



A partir de maintenant, cessez de lire si vous avez l’intention de jouer, car je vais raconter brièvement notre version de la campagne. Le compte-rendu, allusif, fait référence aux personnages du livret.

Donc, survivants à l’attaque de la diligence par Jefferson, se trouvent Lawrence le beau-parleur et l’Indien (métis français-sioux). Et dans la diligence, plaqué au sol pendant la fusillade et découvrant avec effarement les cadavres, monsieur Flemming, venu soigner sa tuberculose dans les paysages plus secs du Texas et prendre le poste d’instituteur de Desolation. Flemming aura l’intelligence d’accepter d’accréditer le récit de la fusillade: mais oui, ces deux hommes survivants sont bien les marshalls David Schneider et Thomas Planche.

Pendant que l’instituteur prend son poste, découvre les magouilles de la ville et la disparition de sa prédecesseuse, Ms Simpson (en vérité assassinée par le tueur de filles, après avoir été collée enceinte par le maire qui: 1- l’avait violée, 2- lui a collé la réputation d’être une fille facile), les deux marshalls se prennent au jeu et chassent les bandits. A vrai dire, Lawrence est plus intéressé par le trésor, ce que l’Indien lui accorde comme une lubie.
Poursuites dans l’arrière pays, pistage jusqu’à Fort Reines, enquête sur le massacre d’une famille de Noirs, pièges, embuscades… 
L’Indien sympathise avec Guthrie, le propriétaire de la mine, et d’une certaine façon avec Garreth, son contremaître. Quand Guthrie est assassiné par Loomis, c’est naturellement vers l’Indien que se tournera la veuve pour ses missions les plus délicates.
Une milice est formée en ville, mauvais souvenir de celle qui avait été formée pour lutter contre Dawson. L’espion de Loomis est trouvé, filé, chassé. Loomis abandonne Fort Reines et se perd au sud du Rio Grande. Certains se demandent pourquoi Loomis s’en prenait surtout aux fermes de la région (dont une bonne partie payent loyer à M. Price), plutôt qu’à la ville elle-même (dont l’essentiel des maisons est la propriété de M. Wilde).
Le marshall Planche (l’Indien) est envoyé à Dallas (expédition mémorable, le bandit-cow boy n’ayant jamais mis les pieds dans une grande ville) pour ramener le fils Price, à la demande sa soeur, la troublante Esther, qui pense que même si la mine d’or ne rend plus, le rapport du Federal Bureau of Geology (un Mac Guffin de quelques courses-poursuites, vols et cambriolages) laisse penser que le minerai de Bauxite, auquel l’or est mêlé, pourrait avoir une valeur encore plus grande. Au retour de Dallas, Planche manque de succomber dans une embuscade tendue par… Loomis ? Non. Par Trevor, l’homme de main de Wilde !
Avec l’aide de la jeune McLane (sa meilleure élève), l’instituteur découvre la source des gémissements mystérieux qu’on entend venir du nord, quand le vent souffle. On écoute le sol avec un appareil conçu à cet effet, et on découvre une mystérieuse cache souterraine où gémit dans les ténèbres et la puanteur un homme devenu fou. « Garreth… je vais te tuer… » 
Les marshalls enquêtent aussi sur les filles disparues, avec l’aide de Ms Clara Stanford, qui tombe amoureuse de l’Indien, malgré sa crasse et son manque de vocabulaire. On commence par découvrir ces meurtres dont le sheriff et le maire avaient caché l’existence, on parle signes mystérieux, apocalypse, etc. L’Indien fait semblant de violer Ms Stanford, pour que celle-ci, devenue enceinte, puisse servir de cible au tueur (malheureusement, celui-ci s’en prendra d’abord à Dixie, la prostituée préférée du Reverend Richardson).
Les choses s’accélèrent, autour de la mine Guthrie, autour du trésor : les marshalls remontent peu à peu les pistes, le coffre à la banque, le ranch de l’Allemand, la carte très approximative, les bijoux dans les tunnels inondés de la mine (que Martha voudrait explorer à l’aide d’un système d’exploration sous-marine: pompe, tuyau, casque en bocal à poissons rouges - Flemming désapprouve). Ils se retrouvent confrontés à Polland, le détective de la Pinkerton, qui les espionne, les précède parfois, manque de tuer Lawrence...
Un marshall arrive en ville, qui prétend être un vieux copain de Planche et Schneider...
Une nuit de cauchemar, le tueur de filles manque d’éventrer Ms Stanford, se fait descendre. Et alors que les marshalls battent la campagne pour trouver pourquoi le trésor ne se trouve plus à l’endroit indiqué par la carte (réponse: il a été trouvé, déterré et gardé précieusement par Bear, l’ancien complice de Dawson), Loomis revient en ville accompagné d’une troupe de mercenaires mexicains et met en scène dans le saloon le procès dément du cadavre de Jefferson et du marshall Caine, un mort et un fou. Il y aura des enfants pris en otages, des innocents menacés, parfois tués, beaucoup de coups de feu et un duel pas propre derrière le bar entre Loomis et l’Indien.
L’histoire se termine avec Flemming, pauvre et intègre, faisant venir sa fiancé à Desolation, et les marshalls, qui ont trouvé le trésor et assassiné Bear, se séparant et disparaissant vers d’autres horizons, Lawrence vers la Californie, l’Indien vers le Minnesota, où il emmène Ms Stanford qui deviendra sa femme. 
 
 

Ce fut donc une bien chouette campagne ! Nous n’avions jamais expérimenté le western en jeu de rôle, c’est un cadre qui marche très bien. Le lecteur attentif notera que nous avons modifié des éléments de l’intrigue. Loomis est devenu une ombre mystérieuse dont on voit la silhouette partout, en plus d’être un excellent tireur. Il y a eu toute une intrigue autour de la famille Guthrie, de la mine et de son avenir (et de la promesse de voir un jour - ou pas - Desolation devenir une ville minière enrichie par l’aluminium). Le trésor a été caché un peu ailleurs et j’ai introduit un paquet de fausses pistes et de rumeurs. 
Pour ce qui est de l’intrigue, le jeu qui consiste à reconstituer la dernière nuit du marshall Caine est très amusant, permettant de nombreuses rencontres entre PJs et PNJs : Flemming ayant la tête qui tourne au-dessus du décolleté de la veuve de Cletus, l’Indien sympathisant avec Quincy le croque-mort, ses enfants aux grands yeux et sa soeur folle, Lawrence jouant aux cartes avec James Jr et s’infiltrant ainsi dans la banque...
Bref, c’était bien. Si vous connaissez d’autres jeux, d’autres livrets du même genre, je suis preneur !

14 février 2017

Vendredi – Robert Heinlein

Robert Heinlein fait partie de ces auteurs de l'âge d'or de la science-fiction que je n'ai pas lus pendant mon adolescence. Je n'ai donc pas de relation émotionnelle particulière avec lui. Je sais qu'il tient un rôle particulier dans l'histoire du genre, mais je n'ai pas réussi à accrocher à ceux de ses livres que j'ai lus : le premier était un juvenile intitulé sixième colonne, publié par Terre de brumes, que j’avais trouvé rigolo mais  horriblement daté, le second, étoiles garde à vous, m’intéressait parce qu’il a inspiré un film que j’adore, Starship troopers.  La lecture du roman m’avait réellement troublé, car là où le film est férocement ironique, le roman ne l’est pas, dans sa présentation d’une démocratie militaire.
Venons en à Vendredi. Vendredi est le nom de l’héroïne, qui nous parle à la première personne durant tout le livre, ce dernier constituant des sortes de mémoires. Vendredi vit dans un futur assez proche, avec colonisation spatiale, Etats-Unis balkanisés, affrontement d’Etats et de Transnationales… Elle est un courrier, sorte de super agent d’élite, forte, rapide, habile, intelligente et belle. Elle travaille pour une ONG mystérieuse, dont elle ne sait pas grand chose (ce qui est pratique quand elle se fait capturer), qui la paye bien et l’emploie au maximum de ses capacités. Ah oui, Vendredi est aussi un Etre Artificiel, un humain né en éprouvettes, amélioré génétiquement avec un gros paquet de bonus.
Ce qui fait les qualités de ce roman: l’héroïne est énergique, sympathique, joyeuse, et elle est propulsée à travers des intrigues géopolitiques tellement tordues que personne n’y comprend rien (elle non plus), se faisant des amis, des amants, tentant de survivre à toutes sortes d’avanies. J’ai eu l’impression qu’elle passait son temps à courir de ci, de là, fuyant les ennuis, les précédant parfois, l'ensemble est assez drôle.
Le livre est bourré d’idées de SF: Etats-Unis balkanisés, mariages polyamoureux, vols balistiques, terroristes de tous poils (vraiment bizarres), racisme envers les Etres Artificiels, technologies de rupture carrément youpi (shipstones pour stocker l’énergie, véhicules anti-grav, et tout un tas de gens qui se déplacent quand même à cheval, réseaux informatiques… ), considérations sur la société, la fin des civilisations, la liberté sexuelle. Heinlein a des idées dans tous les sens et il arrive à en faire passer la plupart dans l’action, nous offrant un futur auquel je n’étais plus habitué, quelque part entre le cyberpunk et la SF de l’âge d’or, c’est très rafraîchissant. Le roman est du genre picaresque, on va ici ou là sans vraiment de trame, ça fait partie du charme et des limites du texte. Les limites, venons-y : d’interminables dialogues, une apologie hyper datée de la liberté sexuelle, pleine de sentimentalisme et de nunucheries dignes d’un mauvais soap. Une fascination pour les questions de comptes en banques et de cartes de crédit, qui m’a bien saoulé et m’a fait lire en diagonale des dizaines de pages, un manque global de structure qui empêche d’accorder des enjeux à l'histoire.
Bref, c’est un très drôle de livre, plein de visions justes (sachant qu’il date de 1982 ! - propagandes, société de surveillance, multinationales militarisées), d’apologies de la liberté, valeur cardinale de l’héroïne, de respect de la personne humaine, de coucheries (racontées sagement) et d’aventures tadam ! Je me suis parfois ennuyé, j’ai été souvent intrigué et impressionné.

Cette notule très intéressante parue dans Bifrost situe le roman dans l'oeuvre d'Heinlein. J'en recommande chaudement la lecture !
Une très bonne chronique également, de Jo Walton.