04 janvier 2024

Cyrano de Bergerac - à la Comédie Française

Cyrano est la pièce préférée de tous les temps de notre chère Marguerite. Alors quand on a vu que la pièce était jouée à Paris alors que nous y étions, nous avons fait la queue dans le froid pour obtenir ces places pas chères et à visibilité réduite à la Comédie Française. Ainsi, le cou un peu tordu, nous avons pu voir la version 2023 mise en scène par Emmanuel Daumas de ce monstre théâtral.

La note d’intention du metteur en scène dit qu’il a voulu faire un Cyrano un peu queer et pourquoi pas ? L’histoire et ses mots sont si connus qu’il faut bien se démarquer. Ses choix fonctionnent souvent, pas tout le temps, mais ne sont jamais honteux.

Laurent Lafitte fait un Cyrano jeune homme, léger, un peu braillard dans les actes 1 et 2, plus délicat dans la suite (et c'est mieux) . Il porte la pièce en finesse plutôt qu’en force, parvenant à faire oublier la version plus brutale de Gérard D, par exemple. Il s’en sort avec élégance sur les grandes tirades du début mais il est encore meilleur dans les scènes de pénombre et de rêve.
Le reste du casting est a la hauteur. J'ai adoré de Guiche (une des choses que j'aime dans cette pièce, c'est que le méchant a de la classe.), Christian a de l’épaisseur, Ragueneau de la presence et les autres petits rôles sont bien tenus - mention spéciale pour Nicolas Chopin en Montfleury, une belle baudruche, et Birane Ba dans une collection de personnages amusants.

Les scènes les plus belles ne sont pas forcément celles qu'on attend. D'abord, l'acte IV, le siège d'Arras, où la mise en scène se fait sombre et inquiétante, où l'on voit les jeunes hommes vaillants et fragiles que la guerre va engloutir. Et surtout la scène du balcon, qui permet à Jennifer Decker de montrer une Roxane magnifique dans un passage tout en pénombre où s'exprime la folie des personnages.

La belle idée d'Emmanuel Daumas c'est de montrer un Cyrano ivre de mots auquel répond une Roxane qui, pas plus que lui, ne veut du monde réel et désire uniquement s'ennivrer de la beauté des paroles. Les deux se retrouvent dans cette folie impossible à satisfaire, et il faut la mort pour que le voile se déchire, voile qu'ils auront maintenu tout les deux tendu jusqu'au dernier moment. Oui, ces deux-là s'aimaient et ils ne se sont jamais aimés dans le vrai monde - baisers, amour charnel, mariage... Mais en vérité, ils n'ont jamais voulu de ce monde, et cet amour-là, leur amour, cet amour queer, est magnifique. 





(en finissant d'écrire ce billet, je vois que beaucoup de critiques démolissent la mise en scène. Elle est loin d'être parfaite, certaines choses sont confuses, certaines idées discutables, mais nous l'avons trouvée réellement intéressante et portée par des acteurs excellents. Le spectacle vaut vraiment le coup, même si ce n'est pas du Cyrano pour Français revanchard de 1870 - le panache ici est parfois léger comme une fumée)

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