Comme nous sommes sur un blog, je vais accrocher ce billet par une note personnelle sur ma vie. Ce blog a commencé avant la naissance de nos filles, à une époque où Cecci et moi vivions à Paris et allions souvent au cinéma. Deux bébés et un déménagement dans la campagne suisse plus tard ont fortement réduit notre consommation de films sur grand écran. Nos goûts aussi ont changé : les sorties cinéma étant devenues plus rares, nous avons tenté de ne voir que de bons films, démarche qui a un peu réduit notre prise de risques. Le temps passant, les filles devenant plus grandes, nous avons retrouvé une plus grande liberté et, même si notre coin helvétique n'offre pas le choix que nous avions à Paris, nous avons recommencé à aller de temps en temps au cinéma, à même aller voir des trucs forts moyens (comme les trois mousquetaires - je ne crois pas avoir chroniqué ce truc) ou bien excellents. Aller au cinéma permet de plus de voir des bandes annonces, comme celle de Poor Things, dont on va parler ici.
En voyant la bande annonce, je me suis convaincu que le film serait une sorte de Tim Burton un peu excité et renouvelé. Univers visuel chatoyant et références à Frankenstein. J'ai même pensé qu'on irait le voir avec Marguerite (15 ans). Dont acte.
Certains films sont des distractions calibrées. Pas celui-ci. J'ai vécu en le voyant une sorte de roller-coaster d'impressions : émerveillements, dégoûts, dégoût accentué, joie, peur et encore plus de joie. Se faire surprendre et balloter comme ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps et j'ai adoré.
Au bout d'une vingtaine de minutes passées à suivre les aventures de cette jeune créature, puisque Bella en est une, j'ai senti venir le moment où il la jeune femme allait découvrir la sexualité. Avec ses doigts, avec des trucs, avec un homme, avec toutes sortes de gens. Le film parle de conventions sociales, de conventions explosées à la masse : ce qui se dit, ce qui ne se dit pas mais qu'on dit quand même, ce qui ne se fait pas, mais qu'on fait quand même, comme enfourner en quantité des pastel de nata, recracher ce qu'on a dans les bouche et faire toutes sortes de trucs sexuels. Donc, warning, si vous voulez y emmener votre descendance, ne faites pas comme moi : vérifiez l'âge limite (je l'ai loupé) et sachez que on y parle de sexe en quantité, avec des scènes assez visuelles (rien de totalement explicite non plus, mais parfois pas loin). Certaines conversations, certaines scènes sont même assez dérangeantes et peuvent faire se sentir inconfortable (TW inceste, enfants, voyeurisme...) même si, à titre personnel, j'ai trouvé cet inconfort stimulant. Je ne sais pas comment les spectatrices ont ressenti ce film.
Le cinéma, c'est entre autres cette forme d'art où des types plus vieux (comme Lanthimos, 50 ans), filment sous toutes les coutures des femmes plus jeunes (Emma Stone, 35 ans). Avec toutes les horreurs qui ressortent en ce moment, j'avais ça à l'esprit tout le long du film, d'autant qu'Emma Stone est quasiment tout le temps à l'écran, en grande tenue, en tenue plus courte, en toute petite tenue et en pas de tenue du tout. Au fur de l'histoire, Bella (en fait, on ne voit que Bella, pas tellement l'actrice) passe du statut de créature, enfermée, limitée, droguée, à celui de protagoniste, actrice de sa vie qui s'empare comme elle peut des milieux qu'elle traverse. Sa force et sa joie m'ont emporté. Alors que le monde est montré de plus en plus noir, elle devient de plus en plus puissante. Et si on la voit tout le temps à l'écran, je n'ai jamais trouvé le film voyeur, elle n'est pas objectifiée. Le film est l'histoire de Bella et Bella emporte tout. J'ai adoré la suivre.
Les autres personnages importants sont également très enthousiasmants. Godwin Baxter, incarné par Willem Dafoe, devient de plus en plus émouvant. Max McCandless est à la fois touchant, mignon et lâche. Et j'ai adoré le "méchant", Duncan, joué par Mark Ruffalo qui incarne une sorte de personnage au croisement de Chaplin et Casanova, intéressant tout du long. Les seconds rôles sont aussi tous à la hauteur.
J'adore aussi les films avec un univers. Poor Things se déroule à l'époque victorienne, dans une ambiance steampunk (genre que je n'aime pas, normalement) proprement incroyable. Les décors de studio et les décors peints sont magnifiques, j'en ai pris plein les yeux. Tout est grand, tout est faux, tout est vrai. C'est un bonheur d'images et de sensations.
Le film, très bien écrit, est bien sûr un récit initiatique, qui va nous emmener de surprise en surprise comme Bella découvre le monde. Surprise des lieux, surprise des gens et des situations. Les dialogues sont riches en punchlines et en blagues, on se les répétait en sortant de la salle avec Marguerite. Bella a la qualité (qu'elle partage avec son "père") de tout dire et tout verbaliser, dévoilant les hypocrisies et les implicites de sa belle voix distinguée et profonde. Ca fait un bien fou.
Au fond, malgré la noirceur de certains sujets, malgré les scalpels, les cadavres, les corps malheureux, Poor Things est un film très joyeux, empli du désir de vivre. Et c'est cette joie que j'ai gardée en moi en sortant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire