15 décembre 2016

And Then There Were None

Sur le conseil de David C., j'ai regardé la mini-série de la BBC And Then There Were None, adaptée des dix petits nègres d'Agatha Christie. C'est de la bonne came : bien écrite, bien jouée, intelligemment adaptée. Et pas trop longue (3 épisodes d'une heure).



La série est plastiquement très belle, avec une déco et des costumes années 30 magnifiques. J'avais lu le roman il y a longtemps, et si je me souvenais du principe (dix personnes ne se connaissant pas se retrouvent sur une île déserte et meurent les uns après les autres), j'en avais presque oublié le twist (qui est sans importance). 


La série est particulièrement sombre, les personnages sont hantés par des fantômes et par la culpabilité, ils marchent tous aux limites de la folie - on pourrait même trouver une explication fantastique au récit. La noirceur du propos m'a mis mal à l'aise, d'autant qu'on est à peu près certain du fait que même les personnages qu'on trouve sympathiques, à leur tour vont mourir.


Karim Debbache, dans le dernier Chroma, dit avec humour que cette histoire est un des premiers slashers. Il n'a pas tort.



14 décembre 2016

L'inclinaison – Christopher Priest

Sandro Suskind est compositeur. Il a grandi dans une ville bombardée par l'ennemi et grandi dans un pays pressuré par une dictature militaire. Sur l'horizon, visible de ses fenêtres, des îles qui, selon la dictature, n'existent pas: les îles de l'Archipel du Rêve, sur lesquelles il finira par faire une étrange tournée, au détriment de...
L'inclinaison (The gradual, en V.O.) est le troisième livre d'affilée que Christopher Priest consacre à l'Archipel. Il forme un élément d'une collection interne à l’œuvre de l'auteur, après le recueil de nouvelles éponyme et de l'excellente Fontaine Pétrifiante. Loin de l'expérimentation formelle des Insulaires (le récit en est simple et direct, à sa façon toute priestienne) et de l'angoisse étouffante de l'Adjacent, l'inclinaison développe cette émotion particulière de l'errance sur les navires et des découvertes de l'Archipel, qui faisait le charme tout étrange de la Fontaine pétrifiante. A travers les allers et retours du temps, la dérive douce du personnage principal a quelque chose de langoureux, comme une drogue un peu amère mais dont on ne saurait se passer. Les angoisses physiques et sexuelles des autres livres de Priest sont moins présentes, l'auteur nous fait partager une dérive agréable, placée sous le signe du temps et de la création.
L'inclinaison est un livre d'évasion, évasion de l'auteur, évasion du lecteur. Je n'ai pas encore trouvé le chemin pour accéder aux îles sans nombre de l'Archipel du Rêve, espace réaliste où se mêlent le subjectif et l'objectif, le temps personnel et le temps perdu. Je ne sais pas où on achète des billets pour la traversée, mais je ne désespère pas de trouver.

13 décembre 2016

All about Eve – Joseph L. Mankiewicz

Années 50, le milieu du théâtre new-yorkais. Margo Channing, une immense actrice, reçoit un soir une fan éperdue dont elle fait, par caprice, son assistante–secrétaire. Mais la première scène nous a montré que cette fan, Eve du titre, a reçu six mois après le plus grand prix que puisse recevoir un acteur... On va donc apprendre, par une série de flashbacks, comment on en est arrivé là.

Tiens, au fait, vous reconnaissez la femme en blanc qui joue un second rôle dans cette scène ? Elle n'avait pas encore percé, à l'époque...
Je n'en dis pas tellement plus: ce film est un classique, et il est un classique parce qu'il est génial, comme seuls savaient être géniaux les films d'Hollywood de ce temps. Parce qu'il est magnifiquement joué, parce que les femmes y sont incroyablement belles, parce que c'est superbement dialogué et tellement bien écrit. Le récit est vif, souvent très drôle, souvent profond, souvent cruel. Les personnages sont comme nous tous, à la fois humains et monstrueux. Et  Mankiewicz filme les femmes comme personne.





10 décembre 2016

Miss Poppins – au petit théâtre

Chaque année, en décembre, le petit théâtre de Lausanne sort sa super-production (à l'échelle du petit théâtre). Et cette année, ils s'attaquent à un mythe : un remake de Mary Poppins ! Il y a mille raisons de se planter en ressortant de son placard la nounou magique : le film de Disney et le sourire de Julie Andrews (et les chansons !) sont dans toutes les mémoires, notamment celles des enfants. Et personne n'arriverait à suivre sur ce terrain. La Divine Company, créatrice de ce spectacle, s'en sort superbement. L'histoire se passe de nos jours, le papa d'Emma élève tout seul sa fille après le décès de sa femme et la confie à une nounou pour s'occuper d'elle avant de rentrer du travail. Et Emma est insupportable, jusqu'à ce qu'arrive cette sorte de gouvernante anglaise qui...



Le récit respecte le code du récit de Mary Poppins : une gouvernante enchantée vient restaurer l'harmonie dans une famille aux relations tendues. La transposition moderne est très bien rendue : les relations du père et de la petite fille sonnent juste, que ce soit dans les dialogues ou dans la tension du père bien stressé par son travail de cadre sup' (architecte, en l'occurrence). Et le charme opère par la magie. Par un jeu magnifique de danses, changements de décors et prestidigitations, on assiste sur scène à toutes sortes d'opérations merveilleuses, depuis le sac où disparaît le parapluie, jusqu'à une forêt naissant depuis le sol de l'appartement, une plume volante qui se transforme en grande plume d'oie...


Les personnages secondaires sont très bien trouvés, depuis Anatole le vendeur de conversations, en passant par la belle-maman, Mrs Andrews, les ouvriers du chantier... Et l'excellent Tim: coiffeur, chauffeur, ouvrier, qui dégage une incroyable sympathie. De discrètes allusions sont faites au film, notamment à Bert, dont on devine qu'il est bien vieux maintenant. Si je devais faire un reproche au spectacle, c'est d'être un peu trop court: le contenu est tellement dense que les changements émotionnels des personnages paraissent parfois un peu forcés par le temps. On aurait aimé passer plus de temps avec eux, tant les acteurs les portent avec joie et énergie. Ce qui ne gâche rien, le spectacle est accompagné d'une musique originale et de chansons.
Une superbe création.



Au petit théâtre de Lausanne jusqu'au 31 décembre. Les représentations sont complètes mais il est parfois possible de s'inscrire sur liste d'attente

photos © Philippe Pache

08 décembre 2016

La petite maison dans la prairie T3 – Laura Ingalls Wilder

Je ne m'étendrai pas sur ce tome 3 de la petite maison dans la prairie, les souvenirs romancés de Laura Ingalls Wilder, car les qualités de ce volume sont les mêmes que celles des deux précédents : très bonne narration, sentiments finement décrits, impressions puissantes de la nature... On pourra se référer à mes deux billets précédents. Ici et .
Dans cet épisode-ci, situé six ans après le précédent (quelques évènements tragiques se sont produits pendant l'ellipse), on retrouve les Ingalls, toujours solidaires, endettés et fauchés, qui abandonnent leur maison du Minnesota pour s'installer le long du chantier de la voie ferrée, dans l'espoir de s'installer sur des terres nouvelles ouvertes par le gouvernement aux colons. L'ambiance est carrément western, avec ville champignon, types douteux, voleurs de chevaux, copine délurée pour Laura et une ambiance du tonnerre. Je retiens des scènes marquantes : celle du jour de la paye, effrayante, celle de la ruée vers l'ouest, celle des filles sur les poneys noirs, et la très belle scène de l'adieu des loups au Lac d'Argent. Laura est une jeune fille farouche, très attachante, qui ne veut pas grandir trop vite. Les parents font des choix, bons ou mauvais, sont toujours aussi solidaires. On croise l'alcool, les hommes qui parlent mal, les bandits... Mais on fête aussi, comme dans chaque volume, un merveilleux Noël en famille.

[Laura] aimait sentir la grande prairie sauvage tout autour de la petite cabane. Son cœur battait fort et vite ; Laura pouvait encore entendre le grondement féroce de la foule et la voix glacée de Papa disant : "ne vous approchez pas trop près!". Et elle se souvint des hommes et des chevaux en sueur avançant obstinément à travers un nuage de poussière pour construire la voie ferrée dans une sorte de symphonie. Laura ne voulait plus retourner sur le bords du ruisseau Plum.

Marguerite dit : "c'est vraiment dommage ce qui arrive à Jack".

05 décembre 2016

Il faudrait pour grandir oublier la frontière – Sébastien Juillard

Il faudrait pour grandir... est une novella de science-fiction publiée par les éditions Scylla. Novella veut dire un court roman, 111 111 signes exactement, une bonne lecture pour un court voyage en train, d'autant que dans ce cas vous aurez le voyage à l'intérieur du voyage. Le récit met en scène une poignée de personnages, Keren, soldat de l'armée israélienne, Jawad, ingénieur palestinien, Bassem, terroriste, et quelques autres, dans la bande de Gaza dans une trentaine d'années. 
Par le choix de son sujet, la densité du récit et de la caractérisation, Il faudrait pour grandir... est un petit bouquin très dense qui contient autant d'idées que certains gros romans. L'auteur a un vrai talent pour faire passer en quelques lignes des idées de SF étranges (comme la psycho-chirurgie) et des situations géopolitiques compliquées. C'est jouissif pour l'amateur de boissons fortes, ça pourra peut-être égarer ceux qui préfèrent plus d'explications. On est dans une SF à la Lucius Shepard (moins incarnée, peut-être), mêlant actualité géopolitique et sense of wonder.
Une semaine après la lecture, je retiens de belles atmosphères de peur et d'attente, et Keren, beau personnage de femme, autour de laquelle gravite ce drôle de petit récit. Et, plus littérairement, une certaine idée de la manière dont nos positions politiques sont construites à partir de récits de fiction auxquels nous avons envie de croire, très belle idée.
In fine, rappelons que comme tous les livres publiés par Scylla et Dystopia, ce petit bouquin est très beau – magnifique couverture, fabrication impeccable, un bonheur de bibliophile – et même pas cher (cliquez sur le lien, en haut de l'article). Et les amateurs de Yirminadingrad verront quelques ponts vers leur cité balnéaire préférée.



03 décembre 2016

The Expanse

J'ai enfin fini de regarder les dix épisodes de The Expanse



The Expanse est une série de science-fiction, située au 23ème siècle, alors que l'Humanité a colonisé le système solaire. Les personnages en sont attachants (un équipage sans attaches, un détective privé de la ceinture d'astéroïde...) et plutôt bien écrits même si les acteurs, comme c'est souvent le cas dans ce genre de production, les jouent de manière assez plate (une manière de voir si un personnage a de l'importance, c'est de compter son nombre de visages. Une expression: personnage mineur. Deux expressions: personnage moyen. Trois expressions: personnage majeur). Le scénario est à base de guerre froide entre la Terre et Mars, de bio-machins et de nano-trucs, sur fond d'émancipation des Belters, cette population plus ou moins exploitée vivant sur les asteroïdes et alimentant les autres en ressources.


Je ne crache pas dans la soupe: l'histoire est bien menée, est intéressante, a du rythme. Le scénario a remarquablement peu de graisse – j'entends de scènes de remplissage. Les personnages sont bien écrits, ont des réactions intelligentes et on se prend d'affection pour eux. La dimension politico-sociale de l'histoire est bien traitée. Le groupe de héros est un vrai groupe de PJs, incarnés par des joueurs pas trop lourds (les rôlistes comprendra là que je fais un compliment aux scénaristes).

 
La principale qualité de cette série, toutefois, n'est pas là: elle est dans la manière dont elle met en scène son univers, un des plus crédibles que j'ai vus depuis longtemps. La SF spatiale de The Expanse est à la fois impressionnante et un peu sale, les machines sont plus ou moins fiables, on imagine très bien la vie quotidienne à bord. Les conflits sociaux sont présents, les scandales sanitaires, les problèmes d'argent, les formes de société novatrices... (quelque part, cette série est l'héritière du premier "Alien", avec son vaisseau crado et ses prolos de l'espaaaace) 



Les petits objets de la vie de tous les jours (je pense aux "comm" qui servent de smartphones) sont très bien imaginés. Sur ce point, on se régale, on fait attention aux mille petits trucs "qui font vrai", comme les déformations physiques des Belters, les sièges anti-G, etc., etc.
Et moi, quand on arrive à me faire croire à la fiction, et à la science-fiction, j'applaudis des deux mains en apesanteur.  (et puis tiens, je vais me faire offrir les bouquins)


Remember the Cant !

24 novembre 2016

Sarah & Pandemonium - Bec & Raffaele

Sur conseil ardent d’un blogueur dont le nom seul ferait de lui un bon méchant dans un film de nazisploitation, j’ai lu quelques albums de Christophe Bec.

Les trois tomes de de la série Sarah
Ville isolée des USA au passé pesant, belle fille traumatisée par un tueur en série pédophile, élément fantastique et bruits bizarres dans la forêt. On est dans une série B d’angoisse, on sursaute dans le noir dans les maisons vides,  et les campeurs qui s’aventurent tous seuls dans la forêt finissent tous mal en dispersant leur tripaille. Le dessin est très réussi et plonge dans l’ambiance. Pour le reste, on est dans un monde de clichés allant volontiers dans le glauque. 


Les deux premiers tomes de Pandémonium
Un grand hôpital isolé aux US dans les années 50. Enfants et adultes atteints de la tuberculose. Un lourd passé, des squelettes enfouis, une petite fille qui voit des fantômes, et on sursaute en tournant les pages. Je pourrais faire les mêmes remarques que le précédent : c’est très réussi pour ce que c’est, une série B d’horreur angoissante, mais je crois que tout ça n’est pas ma came. 





23 novembre 2016

Nos folies douces -- fréville

Ce recueil de nouvelles de fréville nous emmène, dans chacun de ses six textes, sur des terrains bizarres et glissants, traités avec un humour pince- sans-rire.
Dans l’étrangleur amoureux, on écoutera la confession d’une femme dont l’amant bizarre m’a fait penser à l’amusante comédie So I married an Axe Murderer. Dans le paradis de Valentin, un petit garçon en route pour les vacances se demande si la voiture de ses parents est bien arrivée à l’endroit espéré. On visitera aussi un étrange monde de poupées, on fera un voyage spatial à bord d’un vaisseau un peu défectueux, on visitera un Far-West de banlieue...

Ces récits sont tous à la fois amusants et un peu dérangeants, jouant sur nos politesses, nos gênes sociales et nos secrets cachés. Chacun construit un univers à sa façon, décalé et glissant. Le ton et le style sont très agréables, la narration parfois un peu trop distendue. Il est toutefois réjouissant de lire que s’écrivent encore de nos jours de ces histoires bizarres et un peu cruelles, très françaises, dans la lignée des délicieuses frayeurs de Maurice Pons, ou des nouvelles fantastiques de Marcel Aymé.

12 novembre 2016

Charlie et le Grand Ascenseur de verre - Roald Dahl


On l'aura compris : toute la famille chez nous adore les romans de Roald Dahl.

L'ascenseur de verre est la suite de Charlie et la chocolaterie. Et pour une suite, c'est une suite : tout se passe dans une seule journée, juste après que Charlie a récupéré les clefs de la merveilleuse chocolaterie. Il embarque donc sa famille (deux parents, trois grabataires et grand papa Joe) en compagnie de Mr Willy Wonka, tout le monde saute dans le Grand Ascenseur pour rejoindre la chocolaterie et... rien ne se passe comme prévu.
OK, je l'admets, ce roman n'est pas le meilleur de Roald Dahl. L'histoire paraît avoir été écrite de manière complètement frénétique, à la va-comme-je-te-pousse. On y verra des extraterrestres, du Wonki-Forta et du Forti-Wonka, un président des Etats-Unis et son entourage complètement idiot, on montera très haut et on descendra très bas. Roald Dahl est en roue libre, ça part n'importe où n'importe comment et c'est très très très drôle. Et rien que pour ça, pour ses dialogues délirants et ses personnages idiots, le livre vaut le coup d'être lu. On a bien ri.

11 novembre 2016

Lord Peter et l'inconnu – Dorothy Sayers

Au matin, juste avant de prendre son bain, M. Thipps, respectable architecte vivant près de Battersea Park, trouve dans sa baignoire le cadavre d'un homme, vêtu uniquement d'un lorgnon.
Suite à notre lecture du mort du dix-huit juin, nous nous sommes lancés avec délice dans un nouveau Lord Peter. Or donc, l'élégant aristocrate accompagné de son fidèle Bunter, assistant l'inspecteur Parker de Scotland Yard, va éclaircir une histoire à la fois compliquée et amusante. Plus axé polar à énigme et moins roman de moeurs que le précédent que nous avions lu, Lord Peter et l'inconnu est un divertissement brillant qui ménage d'étonnants moment de méta-littérature où l'auteure s'adresse à nous à travers son personnage, des moments émouvants et une très belle scène de suspense. Même si ce livre a été sans doute conçu comme un pur divertissement, il offre beaucoup plus. Nous le recommandons chaudement.

10 novembre 2016

Les cinq conteurs de Bagdad – Vehlmann et Duchazeau

Dans la cité magnifique des conteurs, le Calife organise un concours qui rendra riche et célèbre celui qui racontera la meilleure histoire. Cinq conteurs (parmi les 1000 candidats) s'associent pour parcourir le monde à la recherche de cette dernière, et c'est leur histoire que nous allons lire. Les cinq conteurs est une histoire sur les histoires, un vertige narratif truffé de mises en abyme, un jeu parfois drôle, parfois tragique, où des questions sont données à certaines questions pour mieux masquer certains mystères.
Le dessin est superbe, les personnages très réussis et l'histoire très habile. Tout en étant impressionné par le tour de force, j'ai gardé une relation très intellectuelle avec ce livre : je suis resté admiratif, mais pas ému.




03 novembre 2016

1985 / 2045 - au petit théâtre

Trois comédiens sur scène. La salle reste éclairée, ils parlent directement au public : les enfants, et les adultes qui les accompagnent. Le temps a passé, le temps est passé. Comment est-il passé, dans quelle direction passe-t-il ? Comme ça, comme on lit, de gauche à droite ? Comme lisent les Arabes ou les Chinois, de droite à gauche, de haut en bas ? A quoi ressemblait le temps d'avant, celui de vos parents ? A quoi ressemblera le temps d'après, quand vous aurez l'âge de vos parents ?


Par des jeux de dialogues, des changements de décor, des passages musicaux, les trois acteurs de la compagnie Kajibi Express montent un spectacle astucieux et très drôle, faisant toucher aux enfants comme aux parents le vertige, la peur et les joies du passage du temps. D'être enfant à être adulte, des changements de technologie aux changements d'attitude, du discours sur le temps d'avant, où on savait s'amuser, où on se tournait les pouces...



Les parents rigoleront bien sûr beaucoup de la plongée dans les années 80, mises en reflet -miroir de notre temps.



Le spectacle a été élaboré grâce à des entretiens avec des enfants, par la technique de l'écriture plateau, qui lui donne son aspect vif et vivant, à la fois spontané et bien réglé. Un remarquable travail, recommandé pour tous ! 
Encore un beau choix de programmation pour le petit théâtre de Lausanne. Courez-y !

photos © Philippe Pache

27 octobre 2016

I Daniel Blake – Ken Loach

Nous sommes donc allés voir en salle la palme d'or de cette année. Dans ce récit social naturaliste, on voit un menuisier plus tout jeune, Daniel Blake, tenter d'obtenir ses indemnités d’invalidité suite à l’accident qu’il a connu sur le chantier. Dit comme ça, ce n’est pas follement gai (alors que Ken Loach sait être drôle, voir par exemple l’amusant la part des anges, un film qui fait aimer le whisky).


Loach filme la lutte de Daniel (et de Katie) pour la survie comme une tragédie. Des hommes et des femmes confrontés à des forces immenses, qui les dépassent et les écrasent. Il filme bien, ça ne rend pas heureux pour autant. 
Ceux qui s’intéressent aux mécanismes sociaux d’oppression/sanction des pauvres autour du contrôle des allocations chômage ou ceux qui s’indignent de la bureaucratisation de l’univers retrouveront dans ce film des arguments mis en image, comme une mise en scène iconique des malheurs du monde. 
Le acteurs sont très bien, le scénario très démonstratif. Pour le reste, je ne sais pas trop quoi en penser. Est-ce que les jurés de Cannes ont voulu se donner une bonne conscience sociale ? (Le film, s’il est fait avec talent, ne me paraît pas non plus être une grande œuvre, notamment cinématographique). Est-ce que nous n’aurions pas dû aller voir Docteur Strange, à la place ? (Le choix de films en salle, à Lausanne, est souvent un peu limité)

22 octobre 2016

La ragazza con la valigia - Valerio Zurlini

Dans ce film de 1961, un fils de riche séduit Aida, une très belle jeune femme d'assez petite vertu, lui fait un paquet de promesses puis finit par l'abandonner. Elle retrouve sa maison à force d'acharnement et se fait ouvrir par Lorenzo, 16 ans, jeune frère du séducteur, qui en tombe bien sûr très vite amoureux et va multiplier les coups tordus et les mensonges (envers elle et envers sa famille) pour pouvoir la revoir.



C'est cette vidéo qui nous a donné envie de le voir, et on a eu bien raison. C'est du cinéma italien classe avec un très beau noir et blanc, Jacques Perrin en très jeune homme très naïf et surtout, surtout avec Claudia Cardinale, de ces femmes qui font penser que dans cette antiquité lointaine, au temps où la couleur n'existait pas et où le français se parlait avec ce drôle d'accent nasillard, les actrices étaient des déesses à la beauté inouïe, magnifiques et inaccessibles.



Et cette histoire d'amour impossible, de très jeune homme déchiré par ses sentiments et de femme humiliée par tous les hommes qui la croisent (et agitent sous son nez des billets de banque) a quelque chose de très touchant.






19 octobre 2016

Mascarade – Florence Magnin

Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai une relation particulière avec Florence Magnin. J’ai découvert son travail à travers les couvertures de la série Ambre de Roger Zelazny. Et pour moi, l’imaginaire d’Ambre a toujours été associé à son univers graphique, au point que les illustrations américaines autour de la série m’ont toujours beaucoup choqué. Puis j’ai aimé des illustrations pour Rêve de Dragon chez Multisim, lu ses BDs avec Rodolphe, que j’aime beaucoup, tout particulièrement Mary la noire. Son tarot d’ambre est, des quelques tarots que je possède, mon préféré. Et, ce n’est pas la moindre des choses, quand mon premier roman est paru, Stéphane Marsan m’a proposé spontanément de Florence Magnin en fasse la couverture. Sachant que plusieurs éléments de ce roman puisaient leur inspiration dans son travail, j’avais été enchanté.
Venons-en à Mascarade. Première chose, je l’ai trouvé dans les rayons jeunesse de la bibliothèque publique et selon moi il n’avait rien à faire là. Malgré la douceur du dessin, les tons doux typiques de l’oeuvre de la dessinatrice, le fait que l’histoire mette en scène des enfants et des contes. Le récit fait peur et s’adresse je pense plus aux adultes qui ont été des enfants qu’à ces derniers directement.

Il y est question d’une jeune fille de onze ans, en vacances avec sa mère dans une maison de location. De sa découverte d’une légende locale sur le pouvoir des masques qu’on portrait traditionnellement lors des fêtes. De ses plongées dans le monde des rêves et des contes, déployant toute leur cruauté. L’histoire brasse large : contes de fée, fin de l’enfance, présence des monstres dans nos rêves, dans nos vies. On lorgne parfois vers Lovecraft, tendance contrées du rêve, parfois vers le Tournier du roi des aulnes. On est surtout, tout le temps, dans l’univers de Florence Magnin. Mascarade réussit le tour de force de rassembler dans un même récit et d’une manière cohérente et personnelle tout ce qui fait l’univers de l’artiste. Dieux étranges dans les bois, châteaux enchantés, pantins et poupées, reflets de lune, paysages enneigés, fantômes doux, pirates stylés, robes étranges, labyrinthes… Tout y est, en toute cohérence, comme si l’oeuvre de plusieurs décennies se révélait. J’ai été ébloui.



Merci à Benoît Felten de m’avoir donné envie de découvrir ce livre.

17 octobre 2016

Fantômette a la main verte – Georges Chaulet

Oui, ça tourne un peu à l’obsession. Mais ce Fantômette-ci, assez raté, est aussi très intéressant. On y voit Fantômette, avec téléphone portable, Ficelle qui blogue et un discours sur les OGM. Ca vaut le coup d’insister un peu, non ?
Le professeur Potasse (le savant fou de service des histoires de F.) a inventé un engrais qui permet de fabriquer de gros légumes – et aussi un chien de garde robot, au passage. Le Masque d’argent veut détruire tout ça par jalousie et méchanceté et Fantômette essaie de l’en empêcher.
Une pure intrigue vélo des moins bons Fantômette : l’histoire part dans tous les sens, n’a aucune cohérence, lance des promesses ici ou là qu’elle ne tient jamais. Georges Chaulet, après avoir pondu une cinquantaine de romans entre 1962 et 1986, est revenu pour un dernier round sur son personnage fétiche avec trois récits écrits entre 2006 et 2009. La main verte est le deuxième de cette nouvelle série. D’où les portables, ordinateurs, etc. On voit tout de même de manière frappante que m’sieur Chaulet n’était plus tout à fait à la page : autant les anciens récits dynamitent gentiment la France pompidolienne, autant l’univers de ce retour ne tient pas du tout la route. On y injecte des gadgets modernes (portables, blog) mais on tourne surtout sur un univers auto-référentiel mettant en scène les mêmes personnages que d’habitude, sans aucun souci de cohérence psychologique. Et même l’usage de la modernité est foireux. Fantômette « tape le numéro » d’Oeil de Lynx sur son portable (ah bon, il n’est pas dans son répertoire ?), l’équipe de tournage télé n’a rien de crédible, la compréhension d’Internet très floue, etc. Dommage, parce que les enfants de nos jours, eux, comprennent. Dommage aussi parce que les rares éléments nouveaux lancés par l’auteur sont prometteurs : Oeil de Lynx en journaliste TV, Ficelle dont la fantaisie débile sonne un peu plus vrai dans un monde moderne, la justification sous-jacente des OGM (si, si) et bien sûr la romance amorcée entre F. et… (vous n’aurez qu’à lire).
Je suis frappé, en fait, du manque de travail éditorial. Il y avait quelque chose à faire avec une Fantômette plus moderne. Le style de l’auteur avait gardé cet élan joyeux qui fait la marque des autres histoires de la série. Mais de nos jours les héros vieillissent, réfléchissent sur leur destin, on ne peut plus passer à côté de ça. On a l’impression d’une occasion manquée.

14 octobre 2016

Journal – Fabrice Neaud

Le journal  est une des premières tentatives de récit autobiographique en bande dessinées et, en tant que telle, une oeuvre tout à fait originale. Les quatre volumes parus couvrent une période s’étendant de 1993 à 1995 et racontent certains éléments marquants de la vie de Fabrice Neaud, jeune dessinateur sorti des beaux-arts, vivotant dans une petite ville jamais nommée. On y suit ses amitiés, des épisodes tragi-comiques d’une vie d’artiste précaire et ses amours homosexuelles (ou ses rêves d’amour), le tout accompagné d’abondantes digressions théoriques ou politiques. Le dessin est un noir et blanc magnifique, très fin, souvent très parlant, usant fréquemment de la métaphore visuelle.



Voilà pour la présentation factuelle. Un simple billet de blog aurait bien du mal à rendre compte de ce travail : à la fois passionnant, surprenant, agaçant, impudique et forçant l’admiration par la quantité de travail nécessaire pour le mener à bien, la quantité de réflexion qui l’accompagne. Neaud ne trace pas de lui un portrait sympathique : nombriliste (évidemment), dépressif, ultra-sensible. Mais le simple fait d’avoir dessiné ce portrait, d’avoir osé creuser dans ses préoccupations intimes (on y trouvera des disputes mesquines, du porno gay et des engueulades de voisinage – mais aussi de superbes moments contemplatifs), d’avoir tenté de tourner son médium (la bande dessinée) vers quelque chose de tout à fait différent, provoque une interpellation qui secoue le lecteur dans sa relation au livre.



D'autant que le livre contient de nombreuses discussions sur sa nature même comme si l'auteur avait tenté en permanence de blinder son projet. Toute discussion à son sujet, toute remise en cause (usage de visages et de noms réels, intérêt ou importance de l'autobiographie) trouvera sa réponse dans le livre même, qui devient porteur de lui-même et de sa propre méta-discussion.



Je devrais détester ce livre – et, de fait, il m’a souvent agacé – mais par sa radicalité, par sa capacité à brûler ses vaisseaux, par la capacité de l’auteur a brûler sa propre vie pour son œuvre, il m’a convaincu, en quelque sorte, de sa nécessité.




13 octobre 2016

L'odeur des garçons affamés – Loo Hui Phang & Frederik Peeters

Suite de mon exploration de la bibliographie de Frederik Peeters, merci la bibliothèque publique d'être aussi bien achalandée ! Peeters n'a fait que dessiner ce livre, scénarisé par Loo Hui Phang.
L'odeur... est un western : Stingley, géologue, accompagné de Forrest, photographe chic et de Milton, jeune garçon à tout faire, font routes à travers le territoire Comanche pour faire des relevés aux buts mystérieux.
Oscar Forrest, le photographe qui crée des fantômes, est le point de vue principal de ce récit dur et oppressant. Jeune homme, bien élevé, chassé dans l'Ouest pour cause de scandales multiples, il est aussi une sorte de reflet local du lecteur, forcé de remettre en cause son regard. Western, récit de traque, récit fantastique, l'aventure adopte de nombreuses figures et on la suit enchanté par ces ambiances étranges.


Le dessin, comme toujours, est excellent. Couleurs profondes, ambiances puissantes, personnages réussis.


Dans un billet précédent, je me faisais l'écho du thème de la masculinité dans l'oeuvre de Peeters. Même s'il n'a pas scénarisé cet album-ci, la thématique est partout présente, du trivial jusqu'au bizarre. Dans cette histoire sans femme (quoi que), il est beaucoup question de ce que c'est d'être un mâle. Jusqu'à l'écoeurement et jusqu'à la mort.

05 octobre 2016

Knie 2016

Voici donc mon billet automnal sur Knie. Un peu comme pour le Beaujolais nouveau, on peut commenter la qualité du cru. Alors, il est comment, le spectacle, cette année ? Pailletée? Goût framboise ? Avec des clowns suisses-allemands ? Ou plutôt Nord-Coréen ? (oui, ce fut carrément Nord-Coréen, voir ci-dessous)

Cette année, à vrai dire, est une très bonne année. On ne voit plus d'éléphants sur la piste (à la grande tristesse de Marguerite), mais les chevaux sont toujours aussi beaux et le numéro des Errani brothers, accompagnés pour l'occasion de deux écuyers-jongleurs-acrobates venus de la famille Grüss, est un modèle de crique à l'ancienne : force, énergie, animaux, équilibres... La grande classe, avec de très beaux artistes en bracelets de force et tenues moulantes.
Le clown était l'excellent David Larible, dont les numéros ouvraient, fermaient et structuraient joliment le spectacle. De manière amusante, deux des enfants Larible participaient aussi au show : le fils (David Jun), très bon jongleur, et la fille (Shirley), pour un joli numéro de filet acrobatique. On a aussi vu un  numéro de diabolo à deux (Twinspin) très bien mis en scène et du trapèze acrobatique à grand spectacle (avec les artistes du cirque de Pyongyang). L'intro et l'animation était confiées à la troupe Bingo, habituée de Knie maintenant, et plutôt inspirée cette année avec une belle figure de violoniste.
Deux moments exceptionnels de ce spectacle : le numéro de main à main et acrobaties au sol du duo Popov, des costauds à la légèreté surnaturelle se réclamant de Gene Kelly (et pouvant se le permettre), et un numéro de trapèze-équilibre de Pak Song Hui et Sin Chol Jin du cirque de Pyongyang, cinq minutes complètement folles de figures au sol où dans les airs pendant lesquelles la demoiselle porte, tenue en équilibre dans sa bouche, une tige de presque deux mètres de long au sommet de laquelle est perchée une coupe de champagne pleine - dont rien ne sera perdu, bien sûr. Ce dernier numéro, dérangeant tant il est bizarre, m'a fait penser à un long tour de magie, une illusion paradoxale à la façon de certains récits de Christopher Priest. Il m'a plongé dans une étrange transe.


Bingo

Errani brothers

David Larible, en clôture

Les jeunes Grüss

David Larible Junior

Shirley Larible

Twinspin

Duo Popov

Cirque de Pyongyang, trapèze volant

Pak Song Hui et Sin Chol Jin

Photos (c) Katja Stuppia, fournies aimablement par le cirque Knie, merci !