15 décembre 2015

Une soupe de diamants - Norma Huidobro

Quelque temps après le mystère du majordome, les filles et moi avons lu une soupe de diamants, de la même Norma Huidobro. Ce livre utilise le même genre d'ingrédients que le précédent : une adolescente délurée à dreadlocks, l'Argentine contemporaine et fauchée, un meurtre et un goût pour la cuisine de qualité faite maison.
Les personnages sont très bien campés, l'histoire est pleine de suspense, j'écoute maintenant du tango à la maison. Bref, c'est bien, vous pouvez lire celui-ci aussi.

14 décembre 2015

Le mystère du majordome - Norma Huidobro

Voici une de mes dernières découvertes de lectures avec Rosa et Marguerite.

Tomàs a douze ans, il est marrant, gourmand, un peu agité et sympathique. Pour pouvoir organiser sans l'avoir dans les jambes le mariage de sa tante, la famille l'envoie passer quelques jours de vacances au palais... Le palais : la grande maison où sa grand-mère travaille comme gouvernante. Tomàs va profiter à fond des talents culinaires de la cuisinière de la maison, de la compagnie du chien et de la piscine. Surtout, il va poser au personnel (les patrons sont en Europe), tout à fait naïvement, des questions un peu gênantes: qu'est devenu le majordome qui était là l'année dernière ? Qui mange, la nuit, les parts de gâteau laissée dans le placard ? Pourquoi n'a-t-il pas le droit d'entrer dans le hangar ?

L'histoire se passe en Argentine, dans les années 2000. Les personnages sont vivants, réalistes, ancrés socialement. Et l'ancien propriétaire du palais est mort assassiné, voici deux ans, et l'assassin est en fuite. Les vacances tournent au mystère, des ombres passent dans le parc, des bruits étranges résonnent dans les canalisations...

Norma Huidobro, traduite et publiée par l'école des loisirs, a ficelé un bien joli roman policier pour enfants, souvent drôle, parfois effrayant, sans aucune gaminerie ni facilité. Nous avons tous les trois adoré.

11 décembre 2015

Münchhausen ? - au petit théâtre

Une chambre d'hôpital, toute blanche. Un vieux hirsute, à moitié dingue, sur le lit. Dans le coin, un étrange mannequin. On sent presque l'odeur des médicaments, et les exhalaisons corporelles pas très nettes du vieux, à qui son fils, qui fête ses trente ans aujourd'hui, vient rendre visite à contrecoeur.


Une pièce pour enfants qui commence comme ça, ça m'a rendu méfiant. J'avais tort.
Le vieux, c'est le baron de Münchhausen, 296 ans, qui a séduit toutes les infirmières, délire sur son lit, saute, rit, pète, fait des jeux de mots et fait fuser les paradoxes comme des feux d'artifice. Au bout de quinze minutes de représentation, le vieux est mort, le fils rentre dans son studio tout pourri sous les toits et l'histoire commence à exploser, avec l'aide soignante qui rêve d'astrophysique, le meilleur pote qui ne rêve de rien, le fils qui ne comprend rien, le cheval Bucéphale dans le cimetière, le voyage à Gibraltar, en passant par la lune et le Vésuve. Münchhausen ?, ce n'est pas une adaptation des aventures du célèbre baron, c'est une rêverie dans tous les sens, une histoire de joie, de deuil, de vie et de mort, une ode à l'illimité. C'est du théâtre moderne, explosif, à l'écriture speedée (la série Bref de Canal n'est pas loin, c'est peut-être la seule petite limite du truc), qui ose les effets spéciaux délirants, les blagues étranges, le surréalisme. Les acteurs sont tous formidables. C'est du théâtre pour enfants. C'est du grand théâtre. 

From Gibraltar, with love


(spectacle visible jusqu'à la fin de l'année. Allez-y !)



Photos de scène : (c) Elisabeth Carecchio

06 décembre 2015

Adar - retour à Yirminadingrad

L'éditeur Dystopia workshop lance une opération de financement pour un beau projet, avec lequel j'ai une relation personnelle forte.
Voici déjà le lien du projet. Allez-y voir, ça en vaut la peine.
http://www.dystopia.fr/financement/adar-retour-a-yirminadingrad

Puis, si quelques souvenirs vous intéressent, voici mon implication dans cette affaire.

C'était en 2009 ou en 2010, à la librairie Scylla, que j’ai rencontré en même temps Yirminadingrad et Jacques Mucchielli. Le livre Yama Loka terminus était posé en évidence sur le comptoir, j’en avais lu la critique sur le Cafard Cosmique, je l’ai pris parce qu’un des auteurs était là, que ça donnait l’occasion de bavarder. Jacques et moi avons bien accroché. 



Plus tard, j’ai lu le livre et je l’ai aimé (ma chronique ici). Je me suis retrouvé dans la ville déglinguée des bords de la mer noire, dans le projet chaotique pour la faire vivre par des chroniques, des récits, drôles, tristes, violents, sexuels, bizarres, incohérents, je m’y suis trouvé une maison.
Je me suis aussi retrouvé dans le drôle de processus de création collective, qui me rappelait un peu certains des procédés du jeu de rôle, avec la littérature et sans les clichés. Les auteurs de Yama Loka, et de Bara Yogoï tentaient de répondre à cette question : comment faire, à deux, à trois (avec Stéphane Perger) pour donner naissance à quelque chose d’intéressant ? 

L’année d’après, aux Utopiales, Jacques m’a présenté Léo, ils m’ont proposé de venir à Yirminadingrad à mon tour. J’ai fait le voyage, la route des exilés avec eux, j’ai vu bourgeonner ce qui a longtemps été pour moi le projet 19 dans mes notes personnelles et qui est devenu Tadjélé. (ici, la belle chronique de la revue Frontières)




Dans l'écriture, on se pose beaucoup de questions, on explore, il faut être patient, tranquille, accepter que de nombreuses routes ne mènent nulle part. Yirminadingrad a été pour moi une grande découverte, la possibilité d’autre chose, de quelque chose de juste et de joyeux. La ville et les rêves de la ville ont tout de suite infusé mon travail, comme si cela avait toujours fait partie de mon univers intérieur. L’Anamnèse de Lady Star y contient plusieurs allusions, Petites Morts aussi.
Jacques est mort avant de voir Tadjélé, mais le projet 13 était déjà en route. Dans ce quatrième et dernier livre de la série, les deux créateurs d’origine n’ont écrit aucun texte mais ont invité des amis, des amateurs, à écrire à leur tour - sans attribution des textes - sur la ville de Yirminadingrad. Nous sommes treize à être venus en touristes dans la cité des Yirminites et des Adiniens : Stéphane Beauverger, David Calvo, Alain Damasio, Mélanie Fazi, Vincent Gessler, Sébastien Juillard, Laurent Kloetzer, luvan, Norbert Merjagnan, Jérôme Noirez, Anne-Sylvie Salzman et Maheva Stephan-Bugni. 
J’ai eu le privilège de lire les textes en avant-première et croyez-moi si vous voulez, mais ce n’est pas une antho comme une autre, parce que dès le début elle a été conçue comme un livre complet, les textes étant tous appuyés sur treize images de Stéphane Perger. L’ensemble m’a ému et secoué.

Maintenant, ce livre a beau avoir été écrit, il n’existe pas encore. Le projet des éditions dystopia pour le faire naître est ambitieux, et il a besoin de vous. Tout est expliqué ici. Allez-y voir, pré-commandez le livre si vous le pouvez, vous ne le regretterez pas.


 Yirminadingrad vivra !

05 décembre 2015

Quai numéro 1 - à la Tournelle

La gare de Vallorbe est une ancienne gare frontière, un grand bâtiment majestueux et décrépit, tout au bout de la ligne de train se rendant du lac jusqu’aux montagnes du Jura. Au bout du quai numéro 1, un baraquement : celui où les bénévoles de l’ARAVOH offrent depuis seize ans café et écoute aux requérants d’asiles et autres migrants accueillis au centre d’enregistrement.
De leur expérience, de scènes vécues, ils ont tiré ce spectacle, fruit d’une écriture et d’une création collective.



Ce soir, on ne va pas parler d'immigration

Le résultat est très réussi, un assemblage faussement hétéroclite de saynètes qui vont du monologue humoristico-amer (le monologue du banc, très beau texte), en passant les chansons, les mimes, les scènes de comédie et d’émotions.
Les auteurs ne cherchent à nous tirer les larmes, plutôt à faire état, témoigner, poser des questions.
 
Que peut-on faire ? Que peut-on dire ?



La pièce dépasse les particularités locales, que ce soient celles de Vallorbe ou celles de la Suisse, elle mériterait d’être relue, reprise ailleurs, d’évoluer encore.



Entre l’immigration de masse, effrayante, et la rencontre individuelle, il y a un vide. L’action de l’Aravoh, et de tous ces groupes locaux interpellés par les grandes migrations, est de tenter d’avancer dans ce vide.




26 novembre 2015

Les mauvais jours finiront

21
Le Ministre de l'Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie débat avec la porte-parole de la Coordination des Écoliers de Sapporo. Il explique que, avec la crise, il est impossible d'engager plus de professeurs mais que son nouveau plan va permettre de reverser dans les classes les enseignants qui se sont arrangés pour faire autre chose que leur métier. 
La jeune fille le coupe. Elle est grande pour son âge, sa peau est pâle et ses yeux ne sont que très peu bridés. Elle porte un uniforme à la jupe raccourcie, des couettes et un maquillage sombre, une provocation hentai qui met le politicien mal à l'aise. Elle dit : « vous êtes un crétin et un izarik. Nous nous fichons de votre réforme, ou du nombre de professeurs. Mais nous ne vous laisserons pas faire à Yirminadingrad ce que vous avez déjà fait à la Balkhyrie ! » Le ministre prend la couleur de la lune, il n'a aucune idée de ce dont parle son interlocutrice. 
Les mauvais jours finiront, in Tadjélé (éditions dystopia workshop)

17 novembre 2015

Schumann

La musique de Schumann est/a été/aurait pu être/aurait voulu être. Il faut accepter d'imaginer, accepter l'inaccompli. Les promesses, les esquisses, les suggestions. L'esprit a à peine le temps de se construire une aventure qu'on est passé à autre chose. On hésite, on s'engage, juste assez pour tout voir, tout entendre, puis on glisse pour partir ailleurs. Des symphonies entières sont repliées dans quelques phrases pour piano.

L'orchestre construit pourtant une belle façade, avec feu et souffle, un concerto romantique en trois mouvements, et un moment on peut y croire, quelques minutes durant (la musique, c'est du temps). Mais déjà, à l'intérieur, derrière les belles images, les pensées et les doutes reprennent, et si... et si... Faisons beau, faisons clair, soyons dans le genre, et que tout sonne joyeusement, mais pendant ce temps, à l'intérieur, le piano se recroqueville, se replie et cherche, cherche encore, tous ces chemins qu'on aurait pu parcourir, tous ces chemins qu'on prendra peut-être, un jour, ensemble.

Notes prises après le concert du 16 novembre 2015 de l'orchestre de chambre de Lausanne, direction Joshua Weilerstein, Cédric Pescia au piano. Concerto pour piano op 54 de Robert Schumann.

L’écran de login brille avec insolence. Mot de passe ? Elle renverse la tête en arrière, geste dérisoire pour détendre son dos et sa nuque durcis. Yeux clos. Des ronds de lumière grandissent puis disparaissent sur l’écran noir de ses paupières. Tout est là. En elle. Elle n’a même pas besoin de se reconnecter, les synapses ont rétabli les liens, elle navigue dans les rapports, sentiments, les émotions, les données numériques. Elle peut voir Bronner. Elle le voit. Avec une précision parfaite. Ses fines lunettes, ses mains de jardinier, la légère palpitation des tendons de son cou pendant qu’il parle. Elle entend sa voix, la ressent vibrer dans ses os tandis qu’elle est appuyée contre lui, sous la pluie, entre les orangers en pot. Les mains de Charlotte se posent sur le clavier comme des oiseaux. Elle sent Bronner, tout proche. Artificiel. Une marionnette dans son esprit. Un costume dans lequel elle se glisse. Il faut faire bouger les mains de la marionnette. En accord parfait avec le personnage. En accord avec celui qu’ils appellent « José ». Elle entend de la musique. Des notes de piano qui tombent sur la surface de l’eau. Un ciel d’outre Rhin, rayé de nuages… Images d’un voyage ancien, souvenirs d’une musique entendue en un temps heureux. Il est heureux/elle est heureuse, la vibration des accords se prolonge jusque maintenant, dans ses poignets. Robert Schumann. Bronner/Charlotte a appris à jouer ces morceaux. Une musique rêveuse, difficile, ça ne coule pas sous les doigts, tu sais ? Il/elle reconnaît les accords, ils lui sont toujours à l'esprit au moment d'insuffler le mot de passe, une pensée, un instant de bonheur : Les scènes d'enfance du pianiste à neuf doigts, sixième partie.


(c) Sébastien Maloron




13 novembre 2015

La glace et le ciel -- Luc Jacquet

La glace et le ciel est un documentaire biographique retraçant l'incroyable carrière de Claude Lorius, glaciologue français spécialisé dans l'histoire du climat. Ses travaux ont contribué à la publications d'articles retentissants dans Nature en 1987 (voici le premier d'entre eux) établissant de manière très forte le lien entre taux de CO2 et température.



Évacuons tout de suite les gros défauts de la bobine : il y a de bien belles images contemporaines sur une musique ploum ploum ploum, qui ne servent globalement à rien. On voit Claude Lorius en gros plan, c'est un beau vieux monsieur, mais on dirait que Luc Jacquet l'a juste posé là dans les décors comme une potiche, c'est assez gênant. D'autant que la voix off, censée être la sienne, n'est pas la sienne. Le texte, enfin, dit beaucoup "je", ce qui se justifie quand il s'agit d'opinions ou d'informations sur la situation personnelle du scientifique, et moins quand il s'agit de recherche scientifique où le "nous" est quand même beaucoup plus juste. 


Ça n'enlève rien à la carrière scientifique de Claude Lorius. L'essentiel du film se base sur des images d'archives, moins léchées mais au combien plus passionnantes que les belles photos de livres d'images vues précédemment. Ces vieux films habilement montés nous racontent les expéditions antarctiques de Lorius dans les années 50 à 80. Les images tournées alors ont été curieusement sonorisées (à l'époque on n'enregistrait pas les sons), ça m'a choqué au début puis on s'y fait, d'autant qu'on n'entend pas les voix, juste des échos. On y voit l'hivernage à la base Charcot de 1957, des images de traversées polaires, l'établissement du premier camp au dôme C (site de la future station Concordia), les C-130 décollant de la glace à coups de fusées, les systèmes de forage, tout cela est magnifique. Et, en point culminant, d'extraordinaires images de la base Vostok qui m'ont mis la larme à l’œil. L'aspect scientifique du discours n'est pas évacué, ni les difficultés et souffrances des recherches et la relation d'amour violent qui lie l'homme au continent blanc. 
J'ai été aussi touché par le passage du temps sur le visage d'un homme traversant le siècle.

J'aurai vingt-trois ans pour toujours.

PS : les personnes intéressées parle sujet pourront lire:
Vostok, le dernier secret de l'Antarctique aux éditions Paulsen, de J.R. Petit, collaborateur de Claude Lorius, qui relate avec précisions et chaleur les recherches scientifiques conduites à Vostok et éclaire la trajectoire de Lorius.
Enterrés volonaires au coeur de l'Antarctique, documentaire de Djamel Tahi qui présente les images de l'hivernage à Charcot de 1957 (sans les bruits) commentées par Claude Lorius et Roland Schlich en 2008.

05 novembre 2015

Youth — Paolo Sorrentino

Deux vieux messieurs de 80 ans, Fred Ballinger le fameux compositeur et chef d’orchestre, et Mick Boyle, le célèbre réalisateur, passent quelques semaines de vacances dans un hôtel de luxe un peu vieillot des Alpes suisses, font des blagues caustiques, prononcent des aphorismes bien sentencieux, parlent de leurs soucis de santé, discutent avec certains autres résidents, se confrontent à des petits problèmes de famille et regardent venir la mort.


Il ne se passe pas grand-chose d’autre dans Youth et c’est pourtant un film superbe, un lent chemin d’images et de musique, une composition presque symphonique pour cinq ou six personnages, tous pris à un tournant de leur vie. Sorrentino les aime tous, se moque d’eux et de leurs travers avec tendresse et leur offre à chacun une voie vers la beauté.







J’ai été particulièrement sensible à la plastique du film, à son jeu avec les corps et les visages, jeunes ou vieux, magnifiés par le regard du cinéaste. Et par dessus tout ça, le plaisir jamais déçu d’entendre la voix et l’accent merveilleux de Sir Michael Caine.

12 octobre 2015

Répétition -- à Vidy


Nous n'étions pas retournés à Vidy depuis longtemps, mais Cecci avait repéré dans le nouveau programme une pièce avec Denis Podalydès. Oui, certes, la présentation ne nous disait rien, mais Denis Podalydès, quand même... On l'avait vu plusieurs fois à la Comédie Française, c'est un excellent acteur de théâtre et il l'a prouvé brillamment ce soir dans Répétition, de Pascal Rambert.
Malheureusement, ce n'était pas suffisant.

Répétition: quatre acteurs sur scène, quatre monologues de quarante minute dans un décor moche et sans intérêt. Les quatre personnages, qui portent les prénoms des acteurs (clin d’œil !), travaillaient à une répétition d'un vague objet théâtral (clin d’œil ! Théâtre dans le théâtre, mise en abyme, tu vois ?) et puis il y a eu une histoire de coucherie, et chacun pendant quarante minute donne sa vision du théâtre, de l'art, de la vie, du langage (en disant des gros mots de temps en temps).
Ça a l'air pénible, dit comme ça ? Et bien en fait, ça l'est. 

Cecci dit : "l'ennui était tellement grand qu'il anesthésiait la pensée avant même que le texte s'en charge."

Ça pontifie, c'est très mal écrit (chacun des personnages parle comme l'auteur et file d'interminables métaphores bancales), les quelques rares idées amusantes flottent dans cette bouillasse comme les lentilles dans une soupe sans lentilles. Malgré les efforts méritoires des acteurs, la pièce reste narcissique, sentencieuse et bavarde.
On pourra me dire que Thomas Bernhard aussi fait des pièces avec des monologues au kilomètre et des phrases qui tournent en rond. Et dans cette maison, on aime bien Thomas Bernhard. Répétition, c'est du Thomas Bernhard du pauvre. Les mêmes trucs, sans le génie.

Cecci dit : "une seule lueur de grâce dans tout cela: la capacité de Denis Podalydès à rendre presque crédible un texte qui ne l'est fondamentalement pas."

A la fin, tout le monde se couche et une gymnaste vient sur scène. Bon.

Cecci dit : "Après deux heures écart d'ennui mortel, ma patience est trop entamée pour pouvoir supporter un numéro de GRS."

Un spectacle à fuir.


06 octobre 2015

J'étais un rat ! -- Philip Pullman

édition anglaise, couverture par Peter Bailey
La bibliothèque publique que nous fréquentons a eu la très bonne idée de dissimuler la couverture de certains livres pour surprendre les lecteurs. Nous avons donc pris celui-ci en aveugle (l'image de couverture étant fort laide, nous l'aurions peut-être reposé) et nous avons bien fait.
J'étais un rat raconte l'histoire d'un couple de vieux sans enfants, Bob et Jeanne, qui voient débarquer chez eux un drôle de petit garçon habillé en page, tout perdu et incapable de dire son nom. A vrai dire, il est incapable de fournir autre chose comme information sur lui-même que: "j'étais un rat".
Nos braves vieux vont s'attacher à Roger (ils vont le nommer ainsi), malgré la manie de ce dernier de ronger tout ce qu'il trouve, de manger en plongeant la bouche directement dans l'assiette et de déchiqueter la literie.
J'étais un rat est un petit roman très attachant et très réussi, situé dans un monde délicatement évoqué, presque réaliste mais pas trop. Basé sur cette curieuse prémisse (un petit garçon qui "était un rat", au lecteur de comprendre ce que ça peut bien signifier), il raconte les pérégrinations de Roger à travers la société, entre fonctionnaires, policiers margoulins, savants et philosophes, avec qui le petit garçon plein de bonne volonté va connaître aventures, avanies et catastrophes.
Le récit est rythmé par les Unes du journal le Père Fouettard, un tabloid populaire et bien racoleur, dont les articles accentuent le côté satirique et caustique du roman. 
Rosa et Marguerite ont beaucoup aimé : le roman les a émues, les a fait réfléchir, et surtout, il les a fait rire.

édition Folio Junior
PS : autant la couverture de l'édition Folio Junior est laide, autant les illustrations intérieures de Peter Bailey sont charmantes, voire indispensables à l'histoire.

27 septembre 2015

Knie - 2015

C'est un des indices qui disent que l'automne est proche, le cirque Knie revient vers la Suisse romande (autres indices : le retour des courges et des vacherins Mont d'Or). Pour rappel, Knie c'est le grand cirque de Suisse, pro, bien réglé, quasiment la sortie familiale obligée. La grande question chaque année c'est toujours de savoir s'ils parviendront à dépasser le côté show bien huilé pour trouver de l'émotion et de l'âme. 2015 est pour ça une année moyenne (contrairement à 2013, par exemple). Le numéro de jonglage était réussi, mais très mécanique. Le numéro de portés et de main à main techniquement impeccable, mais d'assez mauvais goût quant aux tenues des artistes (je suis pourtant assez tolérant à la paillette et aux déshabillés). Le clown était Rob Torres, que nous avions déjà vu il y a quelque temps et qui a refait des numéros (très chouettes) que nous connaissions déjà.
Il y a eu une curieuse démonstration de dressage en réponse aux accusations des associations de défense des animaux.
Restent trois moments magnifiques, qui justifient à eux seuls le prix des places. D'abord, un numéro de barre russe, cette sorte de poutre élastique portée à l'épaule par deux costauds, de laquelle une ravissante demoiselle aux longues jambes s'envole et tourbillonne (Trio Stoian). Puis un numéro de chevaux extraordinaire, qui commence avec douze chevaux noirs et blancs formant un carrousel autour de Maycol Errani, auquel se rajoutent bientôt d'autres chevaux jusqu'à remplir toute la piste, le numéro se finissant sur une image merveilleuse, de la grande classe et le rappel de ce fait que j'aime bien : ces grandes familles de cirque sont surtout des familles d'écuyers.
Enfin, la troupe Sokolov (en clôture) monte un numéro de bascule (avec échasses !) dans un esprit XVIIIème siècle punk, façon Amadeus survolté. Très, très, très fort et incroyablement bien mis en scène.

(à noter cette année une affiche magnifique)





Photos presse Knie.

 

26 septembre 2015

Des kilomètres de linceuls (Nestor Burma) — Léo Malet

Se référer à mon billet précédent sur les rats de Montsouris pour lire des considérations générales, toujours valables ici, sur les enquêtes de m’sieur Nestor.

Une belle femme éplorée, ancien amour de notre héros, juive déportée (et gravement blessée) pendant la guerre, vient demander de l’aide d’une voix rauque à Nestor Burma. Commence alors une longue enquête éprouvante et affreuse dans le IIème arrondissement, entre la famille de drapiers juifs farcis de haines recuites, des prostituées, de dangereux bandits en cavale et des maîtres chanteurs. L’intrigue est un vrai jus de chique, Nestor Burma est ballotté entre intuitions fulgurantes et gros coups sur le sommet du crâne et les cadavres s’accumulent. Il fait de son mieux, encaisse, essaie d’aider ceux qui en ont besoin et tombe trop souvent sur un corps refroidi, quand ce n'est pas ce dernier qui lui tombe littéralement dessus.

Le roman est rythmé, dense, amer comme un café très serré pris un petit matin blême à un comptoir de la rue Saint Denis. Une très grande réussite de la série et un petit chef d’oeuvre du roman noir à la française.

24 septembre 2015

La nuit de Saint Germain des prés (Nestor Burma) — Léo Malet

Oui, je sais c'est la couverture d'une édition italienne.Et alors ?
Se référer à mon billet précédent sur les rats de Montsouris pour lire des considérations générales, toujours valables ici, sur les enquêtes de m’sieur Nestor.

Ce roman-ci, situé dans le VIème arrondissement, commence par un long tunnel de bavardages entre le détective, un de ses copains barman et un écrivain à la fois fat et spirituel dans un « snack » de Saint Germain des Prés. Heureusement, les choses s’accélèrent une fois découvert le cadavre d’un jazzman noir dans une chambre d’hôtel. Suit alors une enquête réussie, entre poètes ratés, bandits à la recherche de bijoux et pervers amateur des Chasses du Comte Zaroff. Nestor Burma pose un regard dédaigneux et moqueur sur la manière de s’amuser des jeunes de St Germain, il est trop vieux pour ça, sans doute et n’est pas tellement fan de jazz. L’intrigue tourne autour de la cour rassemblée autour du fameux écrivain, Germain Saint Germain, vendeur de best-seller carbonisé par son succès. Le portrait de ces prétentieux et de ces paumés est réussi, sans méta texte ni moquerie particulière envers les auteurs du 6ème. Une bonne enquête, un bon cru, avec son lot de marioles... et de cadavres.

22 septembre 2015

Les rats de Montsouris (Nestor Burma) — Léo Malet

Je me suis lancé dans un cycle de relectures des histoires Nestor Burma. M’sieur Nestor, avec sa pipe à tête de taureau, ses vannes d’ancien anar revenu de tout et sa culture à géométrie variable a toujours été un de mes héros préférés, parce qu’il est à la fois cynique et romantique, sensible et dur à cuire, qu’il se prend des coups sur la tête et des mauvaises nouvelles mais qu’il continue à aller de l’avant.
Je relis ces romans tous les dix ans environ, il faut croire que le moment était revenu.

Relire, c’est redécouvrir. Le charme des histoires de Nestor Burma repose sur deux choses importantes: la France et surtout la ville de Paris des années 40 à 60, évoquées par quelqu’un qui y était et qui l’aimait. Et le style. Léo Malet, le chroniqueur du détective, écrit bien, mariant avec élégance imparfaites du subjonctif, jeux de mots tordus et morceaux d'argot. Les romans sont parfois écrits un peu vite, mais ont souvent des dialogues bien balancés et des morceaux de bravoure, scènes d’ambiance ou moments oniriques (où l’on se rappelle les vieilles accointances de Léo Malet avec les surréalistes)

En relisant, je me rends aussi compte de la vision sociale véhiculée par ces récits. Nestor Burma voit de tout: des paumés, des étudiants, des bourgeois, des bandits et des flics (et des cadavres, sa spécialité), la coupe sociale est transverse. M’sieur Nestor est aussi un gros macho, plus très objectif quand une jolie minette bien balancée se présente à son burlingue, même s’il est toujours courtois et correct avec les dames, qui sont fréquemment ses clientes, et qui le paient plus rarement.
Par ailleurs, dans mes lectures précédentes je n’avais jamais été attentif à la présence des Arabes ou des Juifs. Mais la guerre d’Algérie est bien présente, en sourdine dans les récits des années 50/60… Sur la fin de sa vie, l’auteur semble avoir viré vieux réac xénophobe. Burma l’est peut-être devenu en vieillissant, quand il a vu le monde qu’il avait connu lui échapper. Dans les années 50 des récits, les Arabes semblent surtout vus comme des étrangers, ni aimables, ni détestables, plus souvent accusés que coupables.

Voilà pour la partie générale. Je ne m’étendrai pas trop sur le roman les Rats de Montsouris, enquête dans le 14ème arrondissement, lu pour voir si nous retrouvions nos repères dans cet endroit où nous avons vécu. Le 14ème d’alors est bien plus popu et cradingue que maintenant, s’étalant entre les bourgeois de Montsouris et les rades pourris derrière Montparnasse. Le roman est une enquête autour du meurtre d’un truand et d’une série de cambriolages, et comprend quelques jolies scènes. Le premier chapitre, pur scène de film noir avec types crasseux jouant au billard sous une ampoule miteuse, est un très beau morceau. Suivi d’une errance cauchemardesque dans la nuit d’août étouffante. Les clins d’oeil surréalistes et le personnage de l’ancien avocat général marié à la fille trop jeune d’un homme qu’il a expédié à la guillotine sont aussi très réussis. Bref, une bonne enquête et un bon cru dans la série des Nouveaux mystères de Paris.

Et on appréciera toujours chez Leo Malet le soin mis à boucler de bonnes intrigues, solides et carrées, que l’amateur de mystères policiers aura plaisir à découvrir.




21 septembre 2015

Europa report - Sebastián Cordero

J'ai vu ce chouette film sur recommandation de GD avec la note suivante: "tu verras, ils parlent du lac Vostok" (de fait).



On a là le récit de la toute première expédition humaine vers Europa, grosse lune glacée de Jupiter, abritant sous sa couche de glace un océan liquide. 


Le grand plaisir de ce film est qu'il traite de façon réaliste un voyage spatial. Le profil des personnages est crédible, leurs réactions compréhensibles et les machines sont lourdes, compliquées et tombent en panne au mauvais moment, comme dans la vraie vie. Le résultat est tout à fait crédible et crée un suspense technique qui marche très bien.
L'autre bon parti pris du film est qu'il s'agit d'un "lost footage movie", les images provenant de l'enregistrement par les caméras du bord. Le réalisateur en tire quelques effets formels réussis, qui ajoutent à la véracité du propos. Bref, une bonne surprise !

Europa report a fait vibrer mon petit cœur d'exporateur spatial. Si le décollage d'une fusée vous émeut plus que la photo d'un bébé chat, ce film pourrait vous plaire.




03 septembre 2015

La lune est blanche - Emmanuel et François Lepage

La lune est blanche est un gros album mêlant bande dessinée et photo, documentaire et autobiographique relatant le reportage des frères Lepage, l'un dessinateur, l'autre photographe, entre la Terre Adélie et la base de Concordia, située au dôme C, en Antarctique. 
La progression dramatique de l'album (puisqu'il y en a une) est construite sur la manière dont les deux frères vivent ensemble leur rêve de voyage, dont ils font face aux reports, retards, délais, à la manière dont le court été austral bouscule tout. Même s'il est plus facile de rejoindre le continent blanc maintenant qu'au début du XXème siècle, le traversée n'est quand même pas une mince affaire et les renoncements sont nombreux. L'aspect chronique personnelle et intime des frustrations ne me convainc pas beaucoup (comme il ne me convainc pas en général dans ce genre de livre mêlant reportage et chronique, comme le Photographe de Guibert ou les albums de Guy Delisle, par exemple).
Ceci dit, le livre est magnifique.
Mêlant peintures et photos, remarquablement entrelacées, éléments historiques et récit contemporain, interviews, peintures de trognes et considérations techniques sur les véhicules du raid ou la station Concordia, il s'agit là d'un magnifique reportage sur ce que c'est que l'Antarctique maintenant, avec les rêves qui y sont associés (Shackleton, Charcot, Paul Emile Victor...). Le dessin et la peinture permettent de lier ces dimensions

, imaginaires et réelles, comme elles se lient en chacun de nous. On part en voyage avec les deux frères, on capte du coin de l’œil les nuances de la glace, on s'endort, épuisé, au volant des tracteurs avançant sur la neige molle de l'inlandsis et on embrasse des inconnus en arrivant là-bas, tout en bas du monde, à Concordia.




02 septembre 2015

L'île au trésor - Stevenson

La carte de l'île au trésor,
dessinée par R.L. Stevenson .
Une auberge en Angleterre au bord d'une crique isolée. La lande, le vent, les embruns. Un vieux flibustier débarque, qui règle ses consommations en pièces d'or venues de loin. Bientôt il s'installe à demeure, ne paie plus et terrifie tous et toutes. Le jeune Jim Hawkins, fils de l'infortuné aubergiste,  se demande ce que le terrible vieux marin transporte dans son coffre toujours fermé...
Il ne sait pas encore (mais le lecteur et les lectrices, eux, le savent), que tout cela le conduira au delà des mers, à bord l'Hispaniola, jusqu'à une île déserte. Alors on verra bien si les armateurs ont bien fait d'embarquer, comme cuisinier pour le navire, le fameux marin à une jambe, Long John Silver, dit Barbecue...

Je viens de finir de lire ce livre à Rosa et à Marguerite. Elles ont été terrifiées, elles ont vu voler les coutelas, tirer les mousquets. Elles ont été passionnées, ont soupesé chaque choix de Jim, et les actions des protagonistes, le capitaine Smolett, le docteur Livesey, Silver lui-même, réfléchissant à ce qu'elles auraient fait, à leur place. Elles ont vu l'île, ses marais, ses brumes, ses collines, son fortin. Elles ont été perdues en mer et sur la terre. Et sursauté quand dans le fortin endormi, le perroquet se met à hurler "Pièces de huit ! Pièces de huit !"

C'est au moins la quatrième fois que je le lis, et c'est encore mieux à chaque fois. Une fabuleuse histoire de pirates, un fabuleux livre pour les enfants, un art de la narration incroyable. L'aventure, les amis, l'aventure !

Pièces de huit !

L'Hispaniola, par Geoff Hunt


21 août 2015

La Mouette - Chiten



Konstantin "Kostia" Treplev est le fils d’une actrice célèbre acoquinée avec Grigorine, un écrivain à succès, et il ne le vit pas très bien. Au point d’avoir tenté de se suicider. Sa tentative de monter une pièce expérimentale avec la belle Nina ne sera pas non plus un succès, on peut dire que Kostia ne va pas très bien.
Le lecteur attentif reconnaîtra ici l’argument de la Mouette, de Tchekov, que nous avons donc vue, mise en scène par la troupe Chiten ("le point"), venue du Japon jusqu’à Romainmôtier dans le cadre de l’excellent festival des Scènes du chapiteau. Une pièce russe,  jouée en japonais surtitré dans un village perdu du Nord-Vaudois, pour un moment pleinement dépaysant.
Le jeu des Japonais est une expérience sensorielle forte, un engagement de tout le corps et de toute la voix, le flux de mots et de paroles devenant comme une expulsion de l’âme, une grande pulsion psychique nous jetant, par la matière sonore même (cris, syncopes, halètements) jusque dans l’état interne des personnages. L’expérience est intense, pas facile, renforcée par la petitesse de la salle et la proximité des acteurs, et le résultat est exceptionnel. On n’assiste plus aux évènements mais à quelque chose de beaucoup plus étrange - la mise en scène de Chiten semble nous plonger dans l’esprit même de Treplev, au cœur de ses tourments. On n'en sort pas indemne.


PS: je sais que le temps du blog n'est pas celui de l'actualité, mais il reste paraît-il quelques places pour l'unique représentation de samedi 22 août, 18h30. Informations de réservation sur le programme du festival.

[Mise à jour] une autre représentation serait prévue ce dimanche, 15h. Se renseigner auprès de la direction du festival. 
Je parle de la scène. Maintenant, je ne suis déjà plus… Je suis déjà une véritable actrice, je joue avec bonheur, avec exaltation, la scène m’enivre et je me sens éblouissante. Et maintenant, depuis que je suis ici, je sors tout le temps marcher, je marche et je réfléchis, je réfléchis et je sens que, de jour en jour, mes forces spirituelles grandissent…

17 août 2015

Complications - Nina Allan

L’Angleterre, de nos jours, entre Londres et les stations balnéaires de la côte sud, Hastings, Brighton…
Dans la première nouvelle de ce recueil, un écrivain imagine un personnage nommé Martin Newland. Dans la seconde, Martin vit une relation étrange avec sa soeur Dora, disparue. Dans la troisième, le personnage disparu est le frère du narrateur, qui le hante comme un fantôme, et les récits s’enchaînent et se déploient, situés dans des univers, des espaces à quelques pas l’un de l’autre, comme des scintillements à la surface d’un liquide. Et dans chaque histoire (ou presque) le narrateur se voir remettre une machine trans-temporelle: une montre, le plus souvent.
Complications est un recueil composé de six nouvelles, qui toutes peuvent être lues indépendamment mais qui forment un tout par les images qui les unissent : une certaine atmosphère, des personnages disparus, la présence d’un certain homme sur la plage qui semble ne jamais vieillir... Il est question de voyage dans le temps - peut-être, mais surtout de mémoire, de souvenirs qui hantent et infusent l’existence. Une belle et subtile orfèvrerie littéraire.

23 juillet 2015

Réminiscences 2012 en numérique

Réminiscences 2012 raconte les enquêtes de Monsieur K., un homme qui n'est pas vraiment détective privé, ainsi que d'Alex, un garçon qui n'est pas vraiment son assistant. On y trouve des morceaux d'un futur qui n'a jamais été, du rêve et de la mélancolie.

J'avais tenté l'autopublication en numérique début 2012, mais le travail à fournir pour produire un epub de qualité m'avait dépassé. Ce sont finalement les éditions Multivers qui se sont chargées de cette part du boulot, qu'elles en soient remerciées. Comme souvent, cette édition numérique est augmentée par rapport à l'édition papier.
Je vous invite bien sûr à explorer leur catalogue !

Et bien sûr, pour commander le livre, c'est ici !

Voici ci-dessous l'avant-propos, rédigé spécifiquement pour cette édition.

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C’était le futur.

J’ai écrit les « histoires de monsieur K. » pour moi-même et pour mes amis entre 1994 et 1997. En premier, Monsieur K. sauve le monde (l’histoire où il échoue), puis …court la poupée, dont le titre montre bien l’influence qu’avait alors sur moi Léo Malet, puis enfin Dream On, car il fallait bien que tout commence. Ces histoires étaient l’auto-fiction d’un avenir qui n’arriverait jamais (2012 était à plus de quinze ans de là, trop loin pour jamais advenir), elles sont devenues le portrait d’un garçon qui a disparu.

J’ai proposé le recueil à Nicolas Cluzeau en 1998, qui l’a pris pour les éditions Nestiveqnen. Chrystelle Camus en a dirigé la publication avec une grande conscience professionnelle, malgré le faible potentiel commercial du recueil. Le livre a fait une sortie discrète en 2001 sous une couverture pulp de Julien Delval.

Je suis très attaché à ces douze récits qui, de tout ce que j’ai publié, m’ont valu le plus de courriers de lecteurs et de lectrices. D’une certaine façon, c’est mon livre préféré. Il a été fait sans arrière-pensées, sans expérience, sans rien savoir. Il dissimule les graines de tout le reste. Jaël s’y trouve, et le monde corporate de CLEER, et la femme mystérieuse de l’Anamnèse ainsi que les Porteurs Lents de l’après cataclysme. De nombreux éléments de ma propre vie future s’y trouvent également, ce qui laisse rêveur quant au pouvoir des prophéties…

Je ne l’ai pas réécrit (malgré la tentation), mais j’y ai ajouté deux récits supplémentaires, rédigés après la parution du livre : Qu’importe le flacon a été écrit d’après une image de Florence Magnin pour le très beau livre Terra Incognita, porté par Karen Guillorel et Mickaël Ivorra. Dans monsieur K. est en haut, notre héros s’aventure dans un petit pays alpin où j’ai fini par m’installer. Cette parution pour les éditions Multivers leur permet d’intégrer le cycle de façon plus officielle !

Messieurs, mesdames, bienvenue en 2012 !

22 juillet 2015

Sunset - Tale of tales

Je dois à David Calvo la découverte de ce petit studio indépendant de jeux vidéos. Leurs productions sont toujours expérimentales, d'une façon ou d'une autre, cherchant les limites du médium. En y jouant, vous ne serez pas dans votre zone de confort ou de distraction, il faudra adopter un autre regard, se décaler, mais croyez-moi, ça vaut le coup.


Après un univers onirico-biblique (Fatale, excellent), un trip de SF durassienne (si, si) plutôt bien fumé (Bientôt l'été), Tale of tales nous emmène dans en 1972, en Anchuria, un pays imaginaire d'Amérique centrale. On y joue Angela, la femme de ménage noire d'un homme riche de la capitale. Angela est une étudiante américaine, coincée en Anchuria par la crise politique qui y sévit et lui interdit de quitter le pays. Toutes les semaines, elle vient passer une heure juste avant le coucher du soleil dans l'immense appartement d'Ortega, qu'elle ne croise jamais. C'est cette routine que Sunset vous propose de jouer. Une heure en quasi temps réel dans un appartement vide, à observer les traces de la vie d'un homme. Une fois admis cet étrange point de départ, Sunset déploie tout son charme. Le jeu vidéo est un moyen ici pour enclencher l'imagination. A partir de l'immersion subjective, on se retrouve à observer les détails peuplant l'appartement, à écouter la rumeur montant de la rue, à allumer un feu dans la cheminée du patio, à lire les titres des livres abandonnés par le maître de maison, tout en entendant parfois les pensées intérieures d'Angela. L'histoire alors se situe tout autant dans l'explicite que dans l'implicite, dans ce qu'on en fait, ce qu'on en crée. Vague inquiétude, voyeurisme, et charme étrange de la routine, chaque visite étant à la fois identique et différente. Les ombres s'allongent, lumières sont belles, on se surprend à s'asseoir dans un fauteuil du maître de maison en sirotant un verre et observer en rêvant le soleil se coucher. Une expérience unique.


PS: j'ai vu que les créateurs du studio Tale of tales annonçaient qu'ils allaient cesser de faire des jeux. Quel dommage !

17 juillet 2015

Ronin - John Frankenheimer

Parfois, on se surprend à regarder des films qui à la base ne nous disaient rien. Tenez, celui-ci par exemple. Un vrai film d'action à la papa, sorti en 98 mais qui aurait pu être fait dans les années 70.


On y trouve: des poursuites interminables en voiture, un Mac Guffin tout à fait assumé, des flingues, des scènes qui se passent en France insistant bien sur le pittoresque (mais tournées sur place), sans qu'on aperçoive aucun ordinateur ni aucun téléphone portable (ou à peine). L'histoire aurait lieu dans les années 60/70, ça aurait été pareil, j'ai cru en voyant le film que De Gaulle était encore au pouvoir. La quantité de Citroën qui se font bousiller sans effets spéciaux aucuna dû suffire pour soutenir la production automobile en France pour l'année du tournage.


On y trouve surtout : des Hommes, avec un gros H. Des tatoués, des burnés, à l'ancienne. Pas des petits minets, pas des frimeurs musculeux, mais des costauds, qui ont l'expérience et le cynisme désabusé de ceux qui font ce qu'on leur dit, mais à qui on ne la fait pas.
Au fond, la seule fausse note, c'est d'avoir donné le rôle du héros à Robert de Niro. C'était un personnage pour Lino Ventura.




15 juillet 2015

Zodiac - David Fincher

A la fin des années 60, un tueur en série assassine des jeunes gens isolés. Il envoie des lettres chiffrées, mystérieuses, au San Francisco Chronicle et aux autres journaux. Un journaliste passionné, un flic acharné et un gentil dessinateur de presse suivent l'affaire et tentent, chacun de leur côté, de comprendre qui est Zodiac.


Bref, on dirait un film de serial killer américain. Sauf que. Le temps passe, les meurtres cessent, les témoignages s'estompent, les incohérences surgissent, le flic se lasse, le journaliste est viré (il boit trop)  et le dessinateur se retrouve avec une obsession qui lui bouffe la vie. Ce qu'on croyait certain ne l'est plus tant que ça, les histoires qu'on se construit remplacent les preuves, et Hollywood produit un film évoquant le tueur (ce sera le premier Dirty Harry). Le dossier devient touffu, des centaines de pages, des milliers de noms, des trucs qui se recoupent soudain et d'autres qui ne collent pas. Des suspect évidents sont innocentés par des experts dont on découvre qu'ils sont alcooliques. Une domestique se rappelle six ans trop tard d'un coup de fil du tueur qui... Tout se mélange, les gens se perdent, la fiction se délite. Voilà Zodiac, non pas un film d'enquête mais un film sur les histoires qu'on se fait, sur l'importance qu'on leur accorde, sur la manière dont elles envahissent nos vies. En vérité, c'est fascinant.